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Une spécialité auvergnate peu connue : la diatomite

François Champreux
CECA SA Usine de Riom-ès-Montagnes
Service Prospections et Recherches

Lorsque l'on parle des ressources du sous-sol de l'Auvergne, on pense tout de suite à son prestigieux passé minier, à l'or des Arvernes, qui fut sans doute l'une des causes de la campagne de César, à l'antimoine cantalien qui, pendant des siècles, purgea l'Europe entière au plomb ou à l'uranium. C'est oublier qu'à côté de ces substances métalliques qui ont vu peu à peu leurs mines se fermer, il en est une, tout aussi rare, qui est encore en pleine exploitation. Il s'agit de la diatomite.

Généralement ignorée du grand public et même de bien des géologues, la diatomite mérite pourtant tout à fait d'être classée parmi les substances "utiles". Qui sait que c'est à la diatomite que le plupart des vins doivent leur limpidité, et les bières, leur "brillance", comme disent les spécialistes ? Que c'est grâce à la diatomite que l'on peut recycler les huiles de coupe dans l'industrie mécanique ? Que l'on en fait des charges pour peinture ou des supports de chromatographie ? Et qui sait que la France est le deuxième producteur mondial de ce matériau rare ?

Un gisement important actuellement exploité en France est celui d'Auxillac-Foufouilloux, près de Murat. Les diatomées se sont déposées dans une dépression elliptique de 800 sur 1300 mètres occupée par un lac dont l’origine n'est pas connue avec précision.

Figure 1. Carte de situation du gisement de Faufouilloux. Carte empruntée au Livre Guide de l’Excursion C13 : Auvergne-Velay, sous la direction de P. Bout et R. Brousse. P 43-45. Union Internationale pour l’étude du Quaternaire. VIII° Congrès INQUA, Paris. 1969.

Figure 2. Vue de la carrière. Le dépôt de diatomite n’a été recouvert ni par les formations volcaniques bréchiques ni par les basaltes des plateaux ; en revanche l’action glaciaire est visible au toit des carrières par le dépôt d’un important manteau gris sombre d’une moraine qui peut atteindre 25 m d’épaisseur.

Des diatomées à la diatomite

Les diatomées sont des algues microscopiques mono-cellulaires qui ont la propriété de fixer la silice présente dans le milieu pour s'entourer d'un test (les botanistes parlent de "frustule") d'opale constitué de deux valves emboîtées réunies, lorsque l'algue est vivante, par un mucus très visqueux. Leur taille varie de 5 à 50 µm mais l'on connaît des espèces géantes qui peuvent atteindre le demi-millimètre.

Lorsque l'on regarde ces frustules au microscope on peut observer qu'elles portent une ornementation d'une si grande finesse que les diatomées ont longtemps été utilisées pour apprécier la qualité des objectifs. Cette ornementation est due d'une part à des pores qui servent aux échanges cellulaires, permettent les sécrétions et les excrétions, voire le passage de pseudopodes ambulacraires, d'autre part à des excroissances favorisant la fixation coloniale. Ce sont les valves qui supportent l'ornementation, la zone d'emboîtement ou "ceinture" étant généralement lisse.

Les diatomées sont extrêmement répandues dans toutes les eaux du globe. On en connaît également qui se développent dans des milieux seulement humides : sols, mousse, grottes, caves etc..., mais ce sont des organismes à l'écologie relativement précise. C'est ainsi que certaines espèces sont propres aux eaux salées, saumâtres ou douces, chaudes ou froides, acides ou alcalines. Généralement, les diatomées rondes ou "centriques" sont des formes flottantes qui font partie du cortège planctonique tandis que celles à symétrie bilatérale ou "pennées" vivent fixées sur le fond à une profondeur limitée par la pénétration de la lumière, indispensable à l'assimilation de type chlorophyllien.

Une roche qui flotte et qui vole

La diatomite est une roche généralement blanche presque exclusivement constituée de silice sous sa forme hydratée d'opale. Lorsqu'elle est pure, cette roche est très légère : à l'état sec, elle flotte sur l'eau (assez peu de temps, il est vrai, car, très poreuse, elle s'imbibe rapidement) et j'ai même vu, sur un gisement africain, des plaques de diatomites de près d'un quart de mètre carré transportées par le vent sur plusieurs centaines de mètres. La diatomite, très friable, se résout facilement en poussière. Un peu de cette poussière entre lame et lamelle et l'on voit que cette roche, décidément peu banale, est constituée de corpuscules aux formes régulières. Les uns, arrondis ressemblent à des rosaces, les autres, allongés, évoquent des sabres, de fines barques. Ce sont des "frustules" (nom donné par les botanistes à ces sortes de carapaces siliceuses) d'algues microscopiques : les Diatomées.

Figure 3. Les frustules observées au Microscope Electronique à balayage. La surface des valves présente une ornementation souvent caractéristique de l’espèce. Cette ornementation est si fine que les diatomées ont été longtemps utilisées pour apprécier la qualité des objectifs de microscopes. L'avènement du microscope électronique à balayage a permis de montrer que cette structure se poursuivait à une échelle beaucoup plus petite qu'on ne l'imaginait. Tel pore que l'on croyait être un simple trou, s'est révélé divisé par des cloisons disposées comme des quartiers d'orange. A plus fort grossissement, ces cloisons apparaissent elles-mêmes ornementées et il semble bien que les appareils les plus sophistiqués ne permettent pas encore d'atteindre les limites de cette structure d'une extraordinaire finesse. F. Gasse-Fournier (1965) a reconnu dans la carrière de Faufouilloux deux phases de sédimentation : La première phase correspond à une sédimentation dans un marécage ou un lac peu profond. Pendant cette phase différentes espèces se sont succédées ce qui permet de distinguer les périodes correspondantes à Melosira italica, Synedra sp Nitzschia sp, et Coscinodiscus dispar. La seconde phase de sédimentation correspond à un lac profond où se développent les espèces planctoniques Melosira et Cyclotella. Les 5 photographies montrent successivement l’observation de quelques fragments de diatomite (X 800) en (A), une valve vue par sa face interne (B), l’ornementation des perforations (C et D) (X 4500) et un secteur de la valve supérieure à un plus fort grossissement (X 27000).

Les milieux favorables

Deux milieux sont particulièrement favorables à cette pullulation, tous deux générateurs de lacs aux eaux riches en silice : le milieu volcanique et le milieu glaciaire. Cependant, seul le premier apparaît susceptible de conduire à des diatomites suffisamment pures, les sédiments glaciaires étant généralement très chargés en argiles et en ultrafines détritiques et, de fait, la quasi totalité des gisements de diatomites d'intérêt industriel sont en relation avec le volcanisme continental. Avec néanmoins une exception de taille : le gisement de Lompoc en Californie qui est le plus grand du monde.

Le gisement du Cantal :Auxillac-Foufouilloux

C’est le second gisement actuellement exploité en France après celui de l’Ardèche dont nous allons parler. L'origine de la dépression elliptique de 800 sur 1300 mètres occupée par le lac à diatomées n'est pas connue avec précision. On suppose qu'il s'agit d'un cratère d'explosion qui se serait ouvert aux confins Miocène-Pliocène dans des formations volcano-sédimentaires ponceuses antérieures à la mise en place des basaltes planésiens. Ces derniers auraient été déviés par l'anneau de tufs entourant le maar, créant la "boutonnière" que l'on observe aujourd'hui à l'emplacement du lac fossile. Par la suite, l'érosion glaciaire aurait fait disparaître l'anneau de tufs.

La masse exploitable dont l'épaisseur est de l'ordre de 25 mètres est constituées de trois couches sensiblement équipotentes se distinguant par leur florule : couche supérieure à cyclotella , couche moyenne à melosira , couche inférieure à synedra. A la base, on trouve une quatrième couche diatomifère très argileuse qui n'est pas valorisable. Le tréfonds du lac n'est pas connu. Les rares sondages qui ont traversé la dernière couche diatomifère ont rencontré des dépôts argilo-limoneux jusqu'à un niveau inférieur aux toit des formations sous-planésiennes, ce qui vient conforter l'hypothèse d'un maar.

La protection a été assurée par une moraine glaciaire qui a du reste raboté une bonne partie de la zone superficielle du gisement. On trouve en effet de grands "radeaux" de diatomites inclus à l'intérieur même de la moraine et la couche supérieure a parfois été érodée jusqu'à ne plus présenter qu'une puissance métrique. L'épaisseur de cette couverture morainique dépasse parfois 30 m.

Le gisement de la Bade. Le second grand gisement du Cantal a été fermé en 1995. C'est celui de la Bade, situé dans la vallée de la Véronne à une dizaine de kilomètres au nord de Riom-ès-Montagnes, sur la commune de Collandres. Le dépôt affecte la forme d'une demi-poire allongée du nord au sud sur plus de 500 m. avec une largeur maximale de l'ordre de 300 m. et une épaisseur maximale atteignant 40 m. Mais le lac a peut-être été beaucoup plus profond puisque séparé de la grande masse par une vingtaine de mètres de matériaux brèchiques, on trouve un niveau supérieur à diatomées de puissance métrique qui n'a pas été exploité.

La caractéristique la plus remarquable de ce gisement était l'extraordinaire homogénéité de sa florule : on n'y rencontre pratiquement qu'une seule espèce appartenant au genre cyclotella. Avec d'autre part une teneur en silice biogénique de près de 98 %, c'était l'une des diatomites industrielles les plus pures du monde.

Pour comprendre le gisement de Murat, visiter l’Ardèche.

Un gisement exemplaire :

la Montagne d'Andance à St Bauzile en Ardèche.

Le gisement de St Bauzile est actuellement le plus important gisement lacustre qui soit exploité au monde pour la production de diatomites nobles et c'est en même temps un magnifique exemple du "piège à diatomées" par excellence : le cratère d'explosion ou "maar". De tels cratères se créent lorsqu'une colonne magmatique rencontre une nappe phréatique. On a alors vaporisation de l'eau, augmentation brutale de la pression et explosion. Il se forme ainsi une cheminée évasée à sa partie supérieure et comblée à la base par des brèches issues de l'explosion (brèches intra cratériques). Le phénomène s'accompagne ou non d'émission de lave. Dans le premier cas un lac de lave viendra combler le cratère, dans le second, il se formera un lac que tufs et retombées cendreuses facilement altérables enrichiront en silice, en faisant un milieu de choix pour la pullulation des diatomées.

Le maar de St Bauzile s'est ouvert au Miocène supérieur dans les marnes du Valanginien. En raison de l'érosion, les dimensions initiales du lac ne sont pas connues. On le suppose d'au moins deux kilomètres de diamètre, ce qui correspondrait à une profondeur de l'ordre de 3 à 400 mètres.

L'histoire du dépôt est résumé sur la figure ci-après. Sur les brèches intra cratériques s'installe un lac dans lequel se forme un premier dépôt diatomifère. L'épaisseur de ce premier niveau, qui n'est pas exploité car impur, est inconnue.

On a ensuite sur 80 mètres d'épaisseur un comblement par des matériaux volcaniques, probablement d'origine intra-cratérique. Puis la sédimentation diatomifère reprend pour constituer le dépôt principal actuellement exploité dont

Figure 4. Coupe géologique du gisement de diatomites de la Montagne d’Andance. (Ardèche) . Cette interprétation de la genèse de la formation est assurée pour ce site. Cette interprétation est aussi présentée pour les carrières de Murat bien qu’ elle ne soit pas complètement établie. L’origine de la dépression occupée par le lac s’expliquerait par une explosion phréato-magmatique

l'épaisseur atteint 60 mètres au centre de la structure. En phase terminale de l'activité volcanique régionale, des coulées basaltiques, probablement issues des Coirons proches, envahissent le lac et viennent protéger la diatomite. On en dénombre au moins trois pour une épaisseur totale dépassant par endroits 50 mètres. Enfin, par le jeu de l'érosion, on a un très classique phénomène d'inversion de relief et le lac se retrouve perché au sommet de la "Montagne d'Andance".

Dans le cas de la carrière d’ Auxillac-Foufouilloux, des indices suggèrent une origine analogue à celle de la montagne d’Andance. (Figure 5)

Figure 5 (A et B). Les couches bouleversées de Farges. Situées à environ 2 km du carrefour de la Chapelle Ste Reine, sur la route de Chalinargues , les côtes de Farges permettent d’observer un étrange phénomène de compression horizontale des couches de cendres volcaniques qui peuvent être la conséquence d’une poussée de laves liée à la formation du maar. L’interprétation de Meynier (1954, Revue de la Haute Auvergne 34) n’est plus retenue.

Note : Cet extrait provint d’un article publié dans la Revue Géologues, Numéro 130/131, décembre 2001 Spécial Massif Central, pages 186 à 192 et intitulé « Diatomite du Massif Central ». Géologues est la revue officielle de l’Union Française des Géologues. La publication de cet extrait a été autorisée par la direction de la Revue Géologues. Le fascicule 130/131 peut être commandé au siège social de l’Association : 77 Rue Claude Bernard 75005 Paris. E mail : Revue Géologues


Compléments sur le gisement de la Montagne d'Andance à St Bauzile en Ardèche .
La valeur industrielle de la diatomite
Les empreintes végétales et animales recueillies dans la diatomite de Murat
Diatomite..., Tripoli..., Kieselguhr