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La diatomite auvergnate : son histoire et son utilisation industrielle

François Champreux
CECA SA Usine de Riom-ès-Montagnes
Service Prospections et Recherches

Lorsque l'on parle des ressources du sous-sol de l'Auvergne, on pense tout de suite à son prestigieux passé minier, à l'or des Arvernes, qui fut sans doute l'une des causes de la campagne de César, à l'antimoine cantalien qui, pendant des siècles, purgea l'Europe entière au plomb ou à l'uranium. C'est oublier qu'à côté de ces substances métalliques qui ont vu peu à peu leurs mines se fermer, il en est une, tout aussi rare, qui est encore en pleine exploitation. Il s'agit de la diatomite.

Généralement ignorée du grand public et même de bien des géologues, la diatomite mérite pourtant tout à fait d'être classée parmi les substances "utiles". Qui sait que c'est à la diatomite que le plupart des vins doivent leur limpidité, et les bières, leur "brillance", comme disent les spécialistes ? Que c'est grâce à la diatomite que l'on peut recycler les huiles de coupe dans l'industrie mécanique ? Que l'on en fait des charges pour peinture ou des supports de chromatographie ? Et qui sait que la France est le deuxième producteur mondial de ce matériau rare ?

Deux milieux sont particulièrement favorables à cette pullulation, tous deux générateurs de lacs aux eaux riches en silice : le milieu volcanique et le milieu glaciaire. Cependant, seul le premier apparaît susceptible de conduire à des diatomites suffisamment pures, les sédiments glaciaires étant généralement très chargés en argiles et en ultrafines détritiques et, de fait, la quasi totalité des gisements de diatomites d'intérêt industriel sont en relation avec le volcanisme continental. Avec néanmoins une exception de taille : le gisement de Lompoc en Californie qui est le plus grand du monde. Constitué uniquement de diatomées marines planctoniques, il est né de la conjonction d'une zone d' "upwelling" faisant remonter depuis les dorsales océaniques des eaux riches en silice favorables à la pullulation et d'un piège constitué par des compartiments tectoniques en relation avec le système de San Andréas.

De nombreux indices, peu de gisements.

Si les occurrences diatomitiques sont fréquentes en milieu volcanique, il est nécessaire, pour que se forme un gisement d'intérêt industriel, que tout un faisceau de conditions, certaines géologiques, d'autres économiques, soit réuni.

Pureté du sédiment

Si les impuretés grossières peuvent être éliminées au cours du traitement, il n'en est pas de même pour les carbonates et les argiles. Or ces deux impuretés sont rédhibitoires notamment en filtration, la première parce qu'elle risque d'altérer les liquides à filtrer souvent acides, la seconde en raison des colmatages qu'elle entraîne.

Protection du gisement

La diatomite est une roche très tendre. Pour qu'un dépôt parvienne jusqu'à nous, il est nécessaire qu'elle n'ait pas été soumise à l'érosion, soit que celle-ci ait été très faible du fait d'une topographie favorable, soit qu'une efficace protection ait été assurée par la mise en place d'une couverture résistante, coulée de basalte par exemple.

Importance du gisement

La diatomite est un matériau non pondéreux qui prend toute sa valeur au traitement. On doit donc réduire au maximum le transport du brut. S'il n'y a pas à proximité d'installation existante, un gisement, pour être exploitable, doit présenter des réserves telles que se justifie la construction d'une nouvelle unité. Cela implique des lacs fossiles de grandes dimensions dans lesquels les conditions de sédimentation se soient maintenues stables pendant plusieurs dizaines de milliers d'années, ce qui est rare en contexte volcanique.

Situation géographique favorable

L'ensemble gisement-usine doit être proche du marché ou d'un port dans une zone de communications aisées. On connaît au Tchad et au Niger des gisements répondant parfaitement aux précédents critères mais que le développement économique de ces pays rend, pour le moment, parfaitement inexploitables.

On comprend que, dans ces conditions, les gisements actuellement exploités dans le monde soient peu nombreux. La France est, à ce propos, particulièrement favorisée puisque trois gisements d'importance mondiale y ont été découverts, en relation avec le volcanisme du Massif Central. L'un en Ardèche (St Bauzile), les deux autres (la Bade et Auxillac-Foufouilloux) dans le Cantal.

La diatomite d'Auvergne, une longue histoire

Le plus ancien gisement exploité en Auvergne fut sans doute celui de Menat (P. de Dôme). Il en est fait mention en 1750 dans les rapports du Présidium de Riom, mais son ouverture est probablement bien antérieure. Il occupe un vaste cratère d'explosion relativement ancien (56 millions d'années). Le matériau servait à préparer du "tripoli" pour le polissage des métaux; très chargé en matières organiques, il devait être calciné pour être utilisable. Du reste, la teneur en matières organiques est telle qu'en fait la dernière exploitation (de 1825 à 1950) fut faite pour obtenir du noir minéral, le tripoli n'étant plus qu'un sous produit.

Mais si la terre de Menat était un excellent tripoli, il n'était pas possible d'en faire ces briques légères que les Italiens utilisaient sur les navires de guerre pour isoler les "saintes barbes" où l'on entreposait la poudre et dont ils étaient fort jaloux au point d'en interdire l'exportation. Louis XV ordonna donc que l'on recherche ce matériau stratégique et c'est à Faujas de St Fons que revient le mérite d'avoir découvert vers 1770 le premier gisement français permettant cette fabrication : il s'agit du gisement de Rochesauve dans le massif des Coirons, à côté d'Alissas (Ardèche) qui est encore aujourd'hui un centre de production de briques de diatomites et non loin du site de St Bauzile.

Il faut attendre les années 1830 pour que deux autres gisements soient découverts en Auvergne à Ceyssat et Randanne, près de Clermont-Ferrand. Ce sont des dépôts de très faible importance développés dans des lacs de barrage en relation avec la cheire d'Aydat.

La découverte de la dynamite par Nobel en 1868, dans laquelle les propriétés absorbantes de la diatomite sont mises à profit pour stabiliser la nitroglycérine, suscita un regain d'intérêt pour cette substance. Pour la deuxième fois de son histoire, la diatomite devient un matériau stratégique. Après 1870, l'Etat s'approprie le gisement de Ceyssat pour approvisionner les poudreries nationales. Conjointement, la prospection est relancée et deux nouveaux dépôts du même type sont découverts dans la zone : ceux du Ponteix et de Rouillat-bas.

Mais il ne s'agit là que de "flaques à diatomées" aux réserves très limitées et il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que, presque simultanément soient découverts les deux gisements qui devaient hausser l'Auvergne au tout premier rang dans le domaine des diatomite de haute qualité.

Le gisement d'Auxillac-Foufouilloux aurait été découvert en 1893 par Monsieur Pagès Allary. Une première carrière est ouverte à Auxillac en 1899 et une autre à Foufouilloux en 1903. En 1907, un atelier de séchage est construit à l'emplacement de l'actuelle usine de Murat par Monsieur Delpiroux qui en dirigea l'exploitation jusqu'en 1961, date à laquelle elle fut reprise par la Société Française des Glycérine (groupe Nobel). Cette société développe considérablement la production et installe un atelier de calcination. En 1970, elle passe la main à la société américaine Johns Manville dont Celite France, exploitant actuel. est filiale.

En 1974, la société CECA, par ailleurs exploitant du gisement de la Bade, prend pied sur le gisement et ouvre sa propre carrière pour alimenter son usine de Riom-ès-Montagnes. en 1995, après la fermeture de la Bade, Auxillac-Foufouilloux sera sa seule source d'approvisionnement. Elle vient d'ouvrir une nouvelle carrière sur une extension est du gisement récemment mise en évidence.

Le Gisement de la Bade, lui, aurait été découvert en 1900 mais il faut attendre la fin de la guerre de 1914 pour que l'exploitation se développe sous l'égide de la Société des Mines de Riom-ès-Montagnes qui monte un atelier de séchage près de la gare. En 1925, cette société est rachetée par les sucreries de St Louis et prend le nom de Société des Diatomites de Riom. La CECA s'intéresse à la zone dès les années 40. En 1945 elle ouvre son propre chantier à côté de celui des Diatomites de Riom. En 1949, s'étant assurée la totalité des droits d'exploitation par un accord avec les Diatomites, elle construit sa propre usine qui est toujours en activité aujourd'hui. Le gisement de la Bade a été fermé en 1995. Sa production totale fut de l'ordre de trois millions de tonnes.

Côté Ardèche, s'il est probable que la découverte de Faujas de St Fons déboucha sur la création de quelques petites briqueteries, le souvenir s'en est perdu. Il faut attendre 1910 pour qu'une première fabrique de briques isolantes et de poudres à polir soit édifiée par Mr Boutillon dans ce qui est maintenant la zone industrielle de Privas. La matière première provient de petites carrières ouvertes au dessus d'Alissas, à Pouchères, au Charray. En 1930, la société Amand construit une usine de briques de plus grande capacité à Alissas même, alimentée par une carrière ouverte à proximité de l'exploitation Boutillon. si l'usine Boutillon ne survécut pas à la guerre, celle d'Alissas, maintenant détenue par la société PIRAL, est toujours en activité.

Mais les diatomites utilisées pour faire des briques sont impropres aux applications nobles car riches en argiles et en carbonates. C'est la découverte en 1950 du gisement de St Bauzile par l'abbé Grangeon et la construction en 1960 d'une usine par la société CECA qui feront de la zone le premier centre européen de fabrication de produits diatomitiques de haute qualité.

De multiples applications

En 1903, Monsieur Pagès-Allary, exploitant du gisement d'Auxilac-Foufouilloux, écrivait :

" Outre l'emploi bien connu des diatomées fossiles, lavées et calcinées, pour la fabrication de la dynamite, elles sont utilisées comme absorbant par les fabricants de couleurs, cires à cacheter, … caoutchouc, corps gras … Elles servent à former les meilleurs filtres pour l'eau, les huiles… Les fabricants d'engrais chimiques les emploient pour l'absorption des éléments fertilisants…Mais c'est surtout dans l'industrie des produits réfractaires, isolants et aphones que les diatomées trouvent leurs applications les plus importantes : Briques … légères pour voûtes de fours, chaudières marines etc… Briques aphones pour cloisons,… Isolants de toute nature pour l'électricité et la chaleur, d'où leur utilité pour les glacières, les navires à conserver la viande, les fruits. nous les trouvons encore dans les produits à polir : tripoli, pâte, savons minéraux, polissage du bois, de l'écaille, des métaux. [Elles sont encore employées dans] la fabrication des stuc, des céruses, des carreaux émaillés, des tuiles légères etc…"

Si l'on excepte quelques applications nouvelles très "pointues" comme les supports de chromatographie, ce texte résume encore assez bien les différents domaines d'utilisation. Evidemment, dans le détail, les choses ont quelque peu changé : vous ne serez pas surpris d'apprendre que le marché des cires à cacheter s'est fortement réduit et l'application à la dynamite n'est plus qu'un avatar historique, dans la mesure où cet explosif est de moins en moins fabriqué et, le plus souvent, chargé avec des chamottes broyées. Les briques tant prônées par Pagès Allary ont vu leur marché se restreindre, en concurrence qu'elles étaient avec d'autres matériaux tout aussi légers et plus réfractaires.

Par contre, les diatomites sont encore très utilisées en charges : soit charges communes pour engrais ou insecticides soit charges fines pour peintures, matières plastiques etc…, produits souvent hautement valorisés élaborés conjointement avec les adjuvants de filtration. Les différentes opérations de traitement de la diatomite sont indiquées sur la Figure 1 .

figure 1

Figure 1 : Schéma des différentes phases du traitement des diatomites

De nos jours, c'est l'utilisation en filtration qui a largement pris le pas sur toutes les autres applications citées plus haut. Un adjuvant de filtration est un produit pulvérulent qui est mis en suspension dans le liquide à filtrer. Celui-ci est ensuite envoyé sur un "préfiltre", tissus de fils d'acier ou de fibres synthétiques, où l'adjuvant se dépose pour former un "gâteau" au travers duquel s'effectuera la filtrations proprement dite. Ce procédé présente deux avantages principaux vis à vis d'un filtre fixe. D'une part, l'ajout d'adjuvant au cours de l'opération entraîne une constante modification de la géométrie du milieu filtrant constitué par le gâteau et donc retarde le colmatage, d'autre part, lorsque celui-ci survient cependant ou lorsque le gâteau devient trop épais, il n'est pas nécessaire de "débâtir" le filtre : il suffit d'envoyer de l'eau à contre courant pour évacuer l'adjuvant usé et le filtre est prêt pour une nouvelle opération. La Figure 2 donne l'exemple d'une filtration sur un appareil à plateaux horizontaux.

figure 2

Figure 2 : Filtre à plateaux horizontaux utilisant un adjuvant de filtration

Au deuxième rang mondial.

Avec une production de l'ordre de 75 000 tonnes/an de produits finis, la France occupe le deuxième rang mondial dans le domaine des diatomites nobles, assez loin, il est vrai, derrière les Etats-Unis qui en produisent quatre à cinq fois plus. Deux sociétés se partagent l'activité : CECA SA, filiale d'ATOFINA, qui est de loin le premier producteur européen avec les sites de St Bauzile et de Riom-ès-Montagnes et CELITE France, émanation du "leader" mondial de la profession, la société américaine Manville, qui partage avec CECA le gisement d'Auxillac-Foufouilloux et dispose d'une usine dans la ville de Murat proche.

Dans des régions à vocation essentiellement agricole et agro-alimentaire, l'industrie des diatomites, avec un chiffre d'affaire global de près de deux cent millions de francs, présente un impact économique considérable, tant sur le plan de la fiscalité que sur celui de l'emploi. Elle est de plus fortement exportatrice : près de 70% de la production partent dans les différents pays de l'Europe, y compris de l'est, l'Afrique et même l'Asie.

Côté réserves, la pérennité de l'activité semble assurée : les sites en activité ont encore de belles années devant eux et les géologues ont dans leurs cartons quelques nouveaux gisements prêts à prendre le relais. Le seul danger serait la mise au point de nouveaux procédés de filtration n'employant pas d'adjuvants. Mais, même si des recherches sont en cours, il ne semble pas que ce soit pour demain.


Note. Cet extrait provint d’un article publié dans la Revue Géologues, Numéro 130/131, décembre 2001 Spécial Massif Central, pages 186 à 192 et intitulé « Diatomite du Massif Central ». Géologues est la revue officielle de l’Union Française des Géologues. La publication de cet extrait a été autorisée par la direction de la Revue Géologues. Le fascicule 130/131 peut être commandé au siège social de l’Association : 77 Rue Claude Bernard 75005 Paris. E mail : Revue Géologues