geo.cybercantal.net sommaire Histoire des pays de Saint-Flour et de Murat Extrait B : Les guerres de religion et le cas de La Gazelle
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Les guerres religieuses

A peine avait-il pansé ses plaies, conséquences néfastes de la guerre de cent ans, que le pays dut faire face à une crise plus douloureuse encore par ses conséquences : les guerres religieuses dont il ne se remettra pas totalement.

Premiers foyers du calvinisme en Haute-Auvergne

Les premiers foyers du calvinisme s’allument ici et là en Haute-Auvergne, mais la violence, la répression, l’émigration et le fort ancrage du catholicisme les empêchent de prendre une extension capable de l’imposer comme une église assurée sur ses bases.

Quelques rares habitants se feront protestants à partir de 1548, sur les franges méridionales du Haut Pays, au contact du Gévaudan où la famille de Peyre a été gagnée par “ la nouvelle opinion ”. Ce n’est pas un hasard si l’un des premiers religionnaires connu est, nous l’avons vu, un médecin de Saint-Urcize. Néanmoins c’est à Aurillac et ses environs que la Religion Prétendue Réformée , _ ainsi l’appellent avec mépris les fidèles de l’église romaine _, a essaimé le plus aisément et que les événements prendront un tour tragique. Une délibération du parlement de Paris, datée du 12 avril 1548, s’en inquiète : “ La cour avertie qu’au bailliage des Montaignes d’Auvergne, mêmement en la ville d’Aurillac et autres lieux circonvoisins, latement (sic) et occultement plusieurs infectés de la blasphème secte luthérienne s’efforcent icelle secte semer et introduire dans le pays ...”, les Messieurs du parlement souhaitent “ que les prêtres lisent et expliquent les articles de la faculté de théologie avec menace de fieu en contre les opposants ”. Ce document a été signé entre autres par Pierre Lizet, président de la chambre ardente, originaire de Salers. Plusieurs “ huguenots “ de la ville d’Aurillac ou de Vic seront arrêtés, , exposés, condamnés à la prison ou au bûcher, tel cet Antoine Maigne, appréhendé à Bourges à son retour de Genève, qui a la langue tranchée avant d’être brûlé vif à Paris. Quelques années plus tard, force est de constater que le protestantisme a fait aussi des adeptes dans la région de Mauriac notamment où, le 25 juillet 1559, “ quelques mals sentens de la foy firent scandale en metant et traînant par terre une croix à neuf édifiée par le village de Charral ” (= Charreau).

Aurillac, ville deux fois martyre

Tout se gâte à partir de 1561, année où s’installe à Aurillac le “ ministre de Genève et du Saint Evangille ” Guy de Moranges, venu d’Issoire, qui active la propagation de “ l’hérésie ” et crée la première “ église dressée ” du Haut Pays. On se réunit dans une grange, près de la porte Saint-Marcel, et les prédications provoquent quelques rixes entre habitants. Le pasteur, “ homme de qualité et de zèle singulier ”, écrit à Calvin le 25 juin : “ En cette ville l’Eglise avance merveilleusement et compte sept à huit cents personnes, et cent soixante familles ”. Toutefois il ne s’y sent pas pleinement en sécurité, car il expose aussi dans cette lettre tous les dangers encourus par “ ceux qui apportent le message du salut ”. En septembre, des fanatiques catholiques ont commencé à incarcérer des religionnaires de la ville, mais un conseiller au parlement fera relâcher les prisonniers. Quelques jours plus tard arrivent à Aurillac les seigneurs de Caillac et de Brezons, ce dernier nommé gouverneur de la ville, “ avec grande compagnie de gens en armes pour faire cesser les séditions et tumultes sur ce fait de la religion..., lesquels firent prisonniers les dits séditieux...”. Les deux farouches catholiques, au lieu de s’employer à rétablir le calme, sèmeront la terreur. Nous avons évoqué à propos de Charles de Brezons, paré du titre de lieutenant général, le véritable régime dictatorial qu’il imposa avant son rappel, conséquence immédiate de ses excès. Les malheurs d’Aurillac ne seront pas pour autant terminés car, malgré les précautions prises, les huguenots, conduits par leurs capitaines, les sieurs Laroque, Dupuy et Labessonhe, reprirent la ville et se vengèrent en massacrant nombre d’habitants et en particulier d’ecclésiastiques.

Ce fut en cette année 1561 que le corps de ville de Saint-Flour ouvrit un compte spécial consacré aux “ trobles de la novelle religion ”, sources évidentes d’inquiétudes et de dépenses supplémentaires.

Les “huguenots” des pays de Saint-Flour et de Murat en émigration

Les récits et chroniques relatifs à cette époque relatent surtout et confusément les luttes ayant mis aux prises catholiques et protestants et un peu plus tard ligueurs, les assauts livrés par les uns et les autres contre villes et châteaux, les “ courses, meurtres , voleries et pillages ”, sans qu’on puisse parfois appréhender leur intensité et certifier leur authenticité ; cependant ici ou là est révélée la présence active ou discrète de quelques ministres ou adeptes de la “Religion Prétendue Réformée”. C’est d’abord un curieux contrat de mariage rédigé par un notaire de Chaudesaigues en 1576 : “ A tous ceulx qui verront ces présentes..., scavoir faisons que par devant Pierre Brieude, notaire royal, institué et ordonné à Chaudesaigues, comme ainsi soit que mariage aye esté pacte entre honorable homme Me Anthoine Béringier, ministre de la parolle de Dieu, fils de frère Claude Béringier, marchant de la ville d’Olhiergues, d’une part, et honneste fille Marque Berger, fille légitime naturelle de sieur Jehan Berger, marchant de Chaudesaigues d’autre..., le vingt septiesme de may l’an mil cinq cens soixante seize... Ces présentes ont été insinuées... au septante troisiesme registre du greffe des insinuations du siège présidial et seneschaulcée d’Auvergne... A Riom le dix neufiesme septembre M Vc soixante seize”. Selon Hauser, cet Anthoine Béringier, marchand à Olliergues, serait devenu “ministre de Job” mais aussi de Saint-Bonnet-le-Chastel, à la suite d’une demande des protestants du Livradois adressée aux “Messieurs de Genève”. Sans doute, fut-il également un ministre itinérant, ce qui expliquerait son mariage à Chaudesaigues. Béringier se distinguera pendant le siège d’Issoire en 1578.

Au nord de la Haute-Auvergne, des bourgades de la région de Condat et de Marcenat ont dû être aussi très tôt “ contaminées ”, car le chapitre cathédral de Clermont dont elles dépendaient y organisa des missions. Une affirmation d’Audigier, reprise par des historiens régionaux, comme quoi Saint-Flour n’aurait pas eu une seule famille luthérienne, semble contredite par les faits. Une lettre de rémission contenue dans le trésor des chartes (extrait No 36, p. 187), datée de “ may 1566 ” grâcie Jean Chatonier, habitant de Saint-Flour, pour le meurtre de Bonnet de Villebeuf commis en état de légitime défense, le 11 juin 1564. Or ce dénommé Chatonier s’était rendu ce jour-là à Tissonnière, paroisse de Chalinargues, rejoindre Claude de Laire, seigneur dudit lieu, qui avait fait venir un minisre protestant pour prêcher à cent ou cent vingt hommes et femmes de Saint-Flour, Murat, Allanche et autres villages circonvoisins. Cette réunion déplut fortement aux frères de Villebeuf, Bonnet seigneur de Rancilhac, et Sébastien, qui assemblèrent une centaine d’habitants de Chalinargues, “ la plupart d’iceux garnis d’arbalestes, longs bois et autres armes ”. Ils attaquèrent les assistants au prêche qui revenaient à Tissonnière, excités par les cris de Villebeuf : “ Tue, tue ces méchants Huguenots ! Par la mort-Dieu, il les faut tous tuer !”, en blessèrent plusieurs, mirent les autres en fuite et menacèrent la maison de Claude de Laire. Ce dernier, blessé d’un “ grand coup de javeline ” et Chatonier “ frappé ...d’espée en son estomac ” lâchèrent leurs “ pistolles ” pour sauver leur vie : Bonnet de Villebeuf s’écroula alors mortellement blessé.

De même les registres de délibérations de la ville prouvent qu’en l’an 1573 il y avait à Saint-Flour des protestants, ou du moins des sympathisants, soupçonnés d’être favorables à la “religion prétendue réformée”. L’assemblée du 15 février, à laquelle assiste M. de Ligonès, gouverneur, précise que ses soldats seront logés “ chez ceux de la nouvelle opinion ” ou chez les plus suspects. Huit habitants sont désignés pour les héberger. Le 29 novembre sont prises des mesures contre “ les soupçonnés de la nouvelle opinion ”, qui ont refusé de changer de demeure et se sont rendus coupables d’insolences, rébellions et désobéissances. On avisera M. de Saint-Hérem de leur emprisonnement. Le 8 décembre, après délibération, on maintient leur incarcération à l’évêché malgré les remontrances du principal officier du seigneur-évêque. Deux jours plus tard, on finira par en relâcher huit sur dix.

D’autres indices d’une faible mais certaine propagation du calvinisme en Haute-Auvergne sont établis par une première phase d’émigration qui débuta en 1549, en même temps que l’apparition du protestantisme dans la province, et dura jusqu’en 1587. Sur 161 Auvergnats, en y comprenant ceux du Brivadois et des confins bourbonnais, 12 seulement étaient originaires de la Haute-Auvergne. Ils sont enregistrés sur les trois “livres des habitants de Genève” couvrant les années de 1549 à 1560, puis de 1572 à 1574, enfin de 1585 à 1587. Parmi ces émigrés, 6 des pays de Saint-Flour et de Murat sont arrivés à Genève :

- le “14 octobre 1550. Maistre Guillaume Senremi (plutôt Saint-Rémy ou Senrau), natif du pays d’Auvergne, au lieu de Sainct-Orsize (Saint-Urcize), diocèze de Sainc Flour, docteur en la faculté de médecine...” ;

- “15 octobre 1557. Jehan Coubez, au lieu d’Allanche en Auvergne” ;

- “31 janvier 1558. Claude et Pierre Meyssonnier, cousturiers, au lieu de Courtines en Auvergne (peut-être de Courtines en Planèze, car quatre localités du Cantal portent ce nom) ;

- “17 octobre 1572. Guillaume Gisolme, de Murat le Vicomte en Auvergne, mercier”

- “26 décembre 1572. Claude Meyssonier, cordonnier, de Courtines en Auvergne”.

A cette liste doit être ajouté le dénommé Marcombes, de Marcenat, admis dans la bourgeoisie de Genève, puisqu’il est cité dans “Le livre des bourgeois”.

Entre guerres sporadiques et paix éphémères

Le 5 décembre 1560, le roi François II meurt. Sa mère, Catherine de Médecis, est approuvée par le parlement comme régente du royaume pendant la minorité de son second fils, Charles IX. Elle doit faire face à une situation critique, car la guerre civile couve, la crise financière perdure et les ambitions nobiliaires dressent les Grands du royaume contre l’absolutisme royal. La régente fait confiance à son chancelier, Michel de L’Hospital, né à Aigueperse en 1505, homme intègre et consciencieux, serviteur zélé de l’Etat, qui table sur la “ pitié ”, c’est-à-dire la tolérance, et tente de faire partager son esprit de conciliation par des édits de pacification. Mais sa politique, en accord avec celle de la régente, sera jugée par les catholiques trop laxiste et tortueuse. Sa disgrâce obtenue en 1568 est à ranger parmi les erreurs majeures du pouvoir.

De décembre 1560 à janvier 1561, les Etats généraux d’Orléans ont consenti un effort de redressement financier qui se conclura par un fiasco. Les bourgeois sont effrayés par le montant du déficit de la balance des comptes royaux, que les députés de l’Auvergne déploreront à leur retour. Les biens d’église aliénés pour tenter de le réduire ne trouveront dans le diocèse de Saint-Flour que de rares et modestes acquéreurs, car le clergé a été autorisé à racheter une grande partie de ces biens vendus. Les autres, tel le château d’Alleuze, resteront invendus. L’édit de janvier 1562 permettant aux protestants le libre exercice de leur culte à l’intérieur des villes closes énerve les esprits catholiques les plus belliqueux. Une étincelle suffira à mettre le feu aux poudres et ces derniers se chargeront de la provoquer

Le 1er mars 1562, des hommes du duc de Guise massacrent des protestants qui se sont réunis pour entendre un prêche à Wassy, en un lieu interdit par l’édit de janvier. Le prince de Condé et les gentilshommes protestants, qui préparent la guerre depuis l’échec de la tentative de conciliation d’Amboise, n’attendaient qu’une telle occasion pour déclencher les hostilités. Huguenots et papistes vont désormais se poser en irréductibles ennemis ; les affrontements massifs , les joutes politiques soufflant en alternance le chaud et le froid se traduiront sur le plan local en luttes et exactions de toutes sortes, selon un rythme spécifique. Les villes, les bourgs, les châteaux forts constituent les enjeux d’une stratégie militaire comparable à celle privilégiée pendant la guerre de cent ans, avec en sus tous les excés générés par le fanatisme religieux. Et comme autrefois, le plat pays, livré sans défense à la soldatesque, subira les pillages, les saccages, toutes les avanies.

En cette même année 1562, nous l’avons vu, Aurillac est la première victime de ces guerres intestines quand les reîtres de l’ultra-catholique Charles de Brezons s’en emparent et l’occupent. En mars 1563, les protestants engagés sous la bannière du seigneur gévaudanais Astorg de Peyre, s’avancent depuis Marvejols sur le plateau de l’Aubrac et enlèvent le fort de Saint-Urcize où plusieurs catholiques sont occis : première escarmouche dans le Caldaguès, à l’extrémité sud du pays de Saint-Flour.

La régente s’efforce de ramener à la raison les belligérants. L’édit d’Amboise (19 mars 1563) reconnaît la liberté des consciences, mais celle du culte est nettement amputée par rapport au précédent édit. Seuls les seigneurs hauts justiciers pour “ leur famille et leurs sujets ” et “ à l’intérieur de leurs châteaux ” sont autorisés à pratiquer “ la Religion Prétendue Réformée ”. Tous les autres sujets protestants ne pourront écouter les prêches de leurs ministres et recevoir les sacrements que dans un temple par bailliage, situé obligatoirement dans les faubourgs d’une ville. Pourtant cet édit favorable aux seuls aristocrates aurait pu calmer le jeu, au moins dans le camp catholique. Il n’en sera rien : quand sont connues ce qu’elle appelle des “ largesses ”, l’assemblée des bonnes villes d’Auvergne se récrie et s’oppose à leur application (29 avril 1563). Elle prie le gouverneur de la province, le comte de Montmorin de Saint-Hérem, d’empêcher l’ouverture des temples.

Tout accord semble donc impossible alors que Chaudesaigues et Saint-Flour sont menacées. Aussi en janvier 1564, les consuls de toutes les villes de la prévôté se rendent dans la cité épiscopale pour y sceller l’union sacrée et organiser en commun la défense de la contrée. Néanmoins pour Chaudesaigues et le Caldaguès c’est déjà trop tard.

Saint-Flour : une ville en état d’alerte

L’étau se resserre autour de la place forte de Saint-Flour toujours aussi convoitée. Le danger vient à la fois du Gévaudan, du Rouergue, du Quercy, du Velay. Pour assurer les “ garde et défense ” de leur ville, le conseil décide en 1563 de contracter un emprunt de 540 livres sur deux ans. Les Sanflorains sont à nouveau requis pour réparer les fortifications et veiller sur les remparts. L’attention de tous est alertée afin de démasquer d’éventuels traîtres qui pourraient livrer la ville aux calvinistes. Saint-Flour s’inquiète également du sort réservé à Aurillac et ne veut pas céder aux exigences de l’un ou l’autre camp. En avril 1563, le conseil de ville décide de dépêcher un émissaire auprès du roi, en la personne d’Aldebert, pour obtenir son appui et manifester des craintes accentuées par le non-respect de l’édit d’Amboise.

L’alarme est d’autant plus vive que le château et la seigneurie de Saillans appartiennent depuis 1538 au baron Charles-Antoine Dubourg. Or ce Dubourg est un adhérent passionné et un partisan convaincu de la Réforme, tout comme son épouse Nicole d’Ondredieu. Cette option religieuse va rendre au château fort assoupi un rôle historique et inspirer une fois de plus aux habitants de la forteresse sanfloraine de vives inquiètudes. N’est-ce pas un merveilleux point d’appui pour lancer des troupes ennemies à l’assaut de la ville ?

Pendant cinq ans (1562-1567), en dehors de quelques épisodes ayant ensanglanté surtout Aurillac et sa région, les guerres religieuses en Haute-Auvergne se limiteront à de simples escarmouches et à des inimitiés qui ont parfois dégénéré en combats singuliers. La Haute-Auvergne orientale est relativement épargnée. Mais il n’en ira pas de même par la suite, car les hostilités plus violentes et généralisées vont se déclarer à partir de 1567, sous les règnes successifs de Charles IX et d’Henri III. Parvenu à sa majorité, Charles IX retire les sceaux au chancelier de L’Hospital dont la politique de tolérance est jugée néfaste pour le pouvoir royal et dangereuse pour la conservation de la religion catholique. Plus personne désormais ne freinera le cours dévastateur des ambitions refoulées et des fanatismes déchaînés.

L’église réformée de La Gazelle

Des huguenots en Haute-Auvergne, il ne resta guère d’autre souvenir que l’apostrophe “ iganaü ” qualifiant en patois toute personne ne pratiquant pas la religion catholique, et qui se voulait infamante.

En 1583, avait été gravé dans l’airain d’une cloche de l’église de Saint-Urcize ce cri d’actualité : “ Dieu veuil préserver la chrestienté de tous périls ”. Cette prière fut partiellement exaucée puisque la “ chrestienté ”, disons la religion catholique, sortait finalement victorieuse d’un conflit très douloureux par ailleurs. Mais les implorations des Pénitents qui processionnaient en psalmodiant : “ A peste, a fame, a bello, libera nos domine” , “de la peste, de la famine, de la guerre, délivrez-nous Seigneur”, exprimait bien en raccourci tous les maux que durent supporter nos ancêtres au cours de cette seconde moitié du XVIe siècle et à l’aube du XVIIe.

L’édit de Nantes ne résolvait pas dans l’immédiat les problèmes qui continuaient à se poser aux quelques religionnaires du Haut Pays d’Auvergne. Ils durent attendre 1603 pour obtenir une place de sûreté, Calvinet en Châtaigneraie, et un lieu de prêche avec faculté d’y élever un temple à La Gazelle, sur le territoire de Ségur. Dans un cadre champêtre, verdoyant en été, mais plutôt lugubre en hiver avec ses vastes étendues enneigées et couronnées de sombres forêtes de conifères, La Gazelle est un village isolé, d’un soixantaine de maisons, sur le chemin de Ségur à Allanche, bâti sur le plateau le long d’un ruisseau. Là et dans les environs immédiats vivait l’une des rares communautés de quelque quarante-neuf familles restée fidèle à l’église réformée. Celle-ci s’était installée à La Gazelle en contradiction avec les stipulations de l’édit de Nantes qui autorisait seulement deux lieux de culte par sénéchaussée ; or c’était le quatrième à dépendre de la sénéchaussée de Riom. Mais légalement et par convention tacite, il fut considéré comme le second du bailliage d’Aurillac, bien que le premier lieu de culte concédé n’eût jamais existé. Toutefois, la lecture d’un document conservé aux archives diocésaines de Saint-Flour semblerait démontrer que les protestants avaient réclamé et sans doute obtenu ce second lieu de culte, au village de Farges, paroisse de Virargues, au nord de Murat. Il s’agissait de la décision prise par “ Jean de Génicourt...conseiller du roy et maître des requêtes ordinaires de son hostel” et par “Mr de Sainct-Germain Beauvon, gentilhomme ordinaire de la chambre de Sa Majesté ” comme “ commissaires députtés par icelle pour l’exécution de l’édit de paciffication des troubles ...”. Le 14 août 1612, ils se sont rendus à Issoire où ils ont reçu “ les sieurs de Chavagnac, d’Andredieu (= d’Ondredieu), son fils, et de Collanges, gentilshommes estans de la Relligion prétendue réformée, demeurans au pays d’Auvergne, acccompagnés de Me Paul Durant, ministre et pasteur des églizes prétendues réformées du Hault Auvergne, de Gilbert Anidat, du capitaine Pompain, de plusieurs autres aussi de ladite religion ”. Ceux-ci se sont plaints au nom des “ anciens de l’églize prétendue réfformée de Murat, Allanche, Marcenat et La Gazelle ” que le lieu de Farges leur ait été imposé “ pour lieu de bailliage ”, village jugé “ inconnu pour cet effet ”, alors qu’ils avaient réclamé “ pour l’establissement du presche ” les faubourgs de Murat et d’Allanche. Ils se sont déclarés déçus par cette décision qui “o ffensoit grandement la fidélité...témoignée au service du Roy ...et toutes les églizes refformées de la France ”. Les commissaires arguèrent de la nécessité d’ouïr les parties concernées, y compris les consuls et officiers de Murat, avant de rendre un jugement définitif. L’affaire n’alla sans doute pas plus loin et La Gazelle resta le seul lieu de culte officiellement autorisé, avec toutefois une petite église de fief fondée à Glénat, en 1632, par l’un des coseigneurs de ce château.

Inutile de chercher des vestiges du “ temple ” de La Gazelle : en réalité, le culte avait lieu “ dans la maison d’un des anciens ”, acquise, selon la tradition orale, au début du XVIe siècle par une famille Delpirou. On connaît le nom d’un pasteur, Pierre Astruc, et ceux des principales familles des pays de Saint-Flour et de Murat dont il s’occupait :

- six de la paroisse de Ségur, exerçant les métiers de tisserands, de laboureurs et de chirurgien (Meynial, Benoid, Maigne, Sarrazin) ;

- deux de la paroisse de Saint-Saturnin-Les-Montagnes, laboureurs (Fabre et Chazelon) ;

- dix-neuf des paroisses de Peyrusse (Chazelon, Gautier, Sarrazin), tous laboureurs sauf un lanternier ; d’Auriac (Arbijoux, Rodier, Benoît) et de Molompize (Arbijoux), familles composées de tisserands, de laboureurs, d’un chaudronnier et d’un sabotier.

Ce nombre relativement élevé d’adeptes de la religion réformée dans le secteur d’Auriac (-L’Eglise) s’expliquait sans doute par le prosélytisme du seigneur, le capitaine Christophe de Chavagnac dont le rôle, nous l’avons vu, fut de première importance en Auvergne pendant les guerres religieuses. Après la malheureuse révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685, les descendants de ces familles émigrèrent pour la plupart en Suisse et en Allemagne.

L’ Ancien Régime : la révocation de l’édit de Nantes

La révocation de l’édit de Nantes et l’émigration des protestants du Haut-Pays (1685)

A l’abri du rocher de Valentine, quarante-neuf familles de la Religion Prétendue Réformée (la R. P. R.) _ ainsi la désignaient les Catholiques_ fréquentaient le “temple de La Gazelle”. Nous ne savons presque rien sur leur mode de vie avant la révocation de l’édit de Nantes. Le document le plus intéressant est un procès-verbal d’abjuration daté du 6 novembre 1670, signé par Sagette, curé de Ségur : “ Anthoine Benoid, fils à Jean et à Marie Pichot du village de La Gazelle a renoncé à l’hérésie et, fait profession publique de la foy catholique, apostolique et romaine avec promesse de vivre et mourir comme un véritable enfant de l’esglise à laquelle il a aussi protesté de rendre une obéissance inviolable ; ensuite de quoy, je curé soussigné l’ay introduit dans notre esglise paroissiale de Ségur pour lui appliquer les onctions du baptesme, après qoy nous avons entendu sa confession et nous avons donné la sainte communion à la messe ”. Seuls les mémoires rédigés avant la Révocation par l’intendant Bérulle (1684 et 1685), à l’intention des officiers devant assister au consistoire, nous donnent quelques détails tardifs. Le culte avait lieu “ dans la maison d’un des anciens ”, peut-être celle acquise plus tard par la famille Delpirou. Le pasteur s’appelait Pierre Astruc. Selon Bérulle, il desservait aussi six familles de Ségur et deux du bourg voisin de Saint-Saturnin, plus dix-huit dans les paroisses de Peyrusse, d’Auriac et de Molompize. Mais l’intendant, sciemment ou mal informé, annonce des chiffres inférieurs à la vérité. Car un autre “ mesmoire de l’estat de l’esglise de la Gazelle ” en mentionne bien quarante-neuf habitant dans les paroisses de Ségur (six familles), de Saint-Saturnin (deux à Nouais), de Peyrusse (dix à Vellonière et Chabassière), d’Auriac (quatorze à La Bastide , Trémotet et Chazelle) et dans l’Election de Brioude, paroisses de Lubillac (dix), de Saint-Ilpize (deux) de Saint-Beauzire (deux). Toutes ces familles figurent également sur la liste dressée par le ministre de la R. P. R. de Parentignat, Vigot. sans doute fréquentaient-elles le temple plus facile d’accès de ce lieu. Ne les avait-on pas rattachées à celui de La Gazelle, isolé par les intempéries hivernales avec peut-être le secret espoir de les décourager ? C’est possible.

L’ Eglise Réformée de la Gazelle est pauvre ne subsistant “ que par la levée que font sur eux ceux de la R. P. R., en vertu des rôles faicts sans autorité de justice ” ; encore chacun donne-t-il “ selon sa volonté et de plus...nostre ministre a mangé de son bien en servant nostre consistoire ...de La Gazelle”. Son recrutement est essentiellement rural et populaire, les fidèles presque tous paysans, petits artisans ou ouvriers. On compte en effet vingt-six familles de laboureurs, six de vignerons, sept de tisserands, deux de sabotiers, une de chirurgien, de lanternier, de chaudronnier et de cordonnier, quatre sans profession mentionnée. Quelques prénoms sont significatifs : Jérémie, Josué, Abel, David, Moyse, Samuel, empruntés à la bible. Vivaient-ils en bonne intelligence avec leurs voisins catholiques ? Nous n’en savons rien, sinon que les prêtres s’activaient pour obtenir l’abjuration des “ hérétiques ”.

Quand Louis XIV révoque l’édit de Nantes, le 18 octobre 1685, édit qui avait pourtant été déclaré “ perpétuel et irrévocable ”, une certaine panique collective, dont les Réformés éprouveront longtemps le remords, s’empare de ces petites minorités. Les plus fervents s’enfuient ; les autres se rallient peu à peu à la religion du roi, quitte à jouer le double jeu. Ainsi les laboureurs peuvent conserver le patrimoine familial ; ainsi ceux qui sont demeurés peuvent-ils garder un état civil qui ne sera plus acccordé aux protestants jusqu’en 1787. Il reste à ces pauvres gens le soutien des livres dits “ hérétiques et séditieux ” qui circulent en cachette. On en saisira près de Ségur.

Seize Religionnaires attachés au Temple de la Gazelle abjureront. De 1670 à 1716, les membres protestants des familles Benoid (ou Benoît ou encore Benoist), Gauthier, Fabre, Rodier, Aubijoux font “ profession de foy catholique ”. Le 20 mai 1714, “ jour de la Pentecôte ”, le curé de Ségur Rouchy peut se réjouir de recevoir neuf abjurations en une seule fournée. La famille Meynial sera plus rétive. Le 27 avril 1715, Durand Bellet, “ régent, précepteur et maistre d’escole du villaige de la Gazelle ” certifie “ avoir fait les escoles l’espace de trois anée (sic) en led. villaige où il y a deux maisons de Religionnaires ”, celles de Gabriel Meynial et de sa parente Magdeleine Meynial, veuve de Benoist dit Pleurtout. Il accuse celle-ci d’avoir fait passer deux de ses garçons en Suisse et d’avoir gardé sa fille et un autre garçon chez elle “ les ellevant et instruisant à leur Religion Prétendue Réformée ”. Pendant ces trois années, elle les a envoyés à l’école “ pour apprendre à lire et écrire ”, mais leur a défendu “ d’assister à tels catéchisme et prières ”. Gabriel Meynial, selon le curé, agissait de même avec ses six enfants. Or le “ maistre d’escole ” certifie que le fils aîné de ce dernier lui “ a advoué plusieurs fois qu’il seroit fort aise de quitter sa religion et embrasser le religion catholique et romaine, mais qu’il n’osoit pas à cause de son père et de sa mère lui disant que s’il faisoit cest affront, ilz le deshéritteroient et désavoueroient pour leur enfant”. Parole d’écolier sans doute gêné de ne pas appartenir à la même communauté chrétienne que ses camarades ? On peut le penser. Fit-on alors pression sur les parents ? Usa-t-on de menaces ? Toujours est-il que, un an plus tard, en novembre 1716, Gabriel Meynial, son épouse, Marthe Fabre, leurs six enfants, Magdeleine Meynial veuve Benoist et ses trois enfants abjurent à leur tour. Les deux garçons qui, selon Bellet, avaient émigré en Suisse sont-ils de retour ? Mystère ! Ce jour-là aussi, tous les membres encore protestants des familles Meynial, Fabre, Benoist, Gauthier, Sarrazin, Maigne agissent de même. L’abbé du chapitre Saint-Genès de Clermont qui a reçu et enregistré leurs abjurations note avec satisfaction : “ Tous les dits religionnaires de ma paroisse, sans exception d’un seul, ont abjuré ...”. Dans celle de Peyrusse, il est un lieu-dit appelé “le jardin des renégats”. Est-ce l’ancien cimetière où les protestants ayant abjuré étaient autrefois portés en terre ?

Le 11 mars 1710, déjà, le curé d’Auriac justifiait une demande adressée à l’évêque de Saint-Flour pour obtenir un second vicaire, en insistant sur le nombre croissant “ de nouveaux convertis

Ainsi s’étiolait peu à peu l’Eglise Réformée de Haute-Auvergne, trop minoritaire pour pouvoir substituer et résister. Mais, si inconsistante dans le pays, elle allait renaître vigoureuse et enracinée dans sa foi grâce à la “ diaspora ” protestante. La révocation de l’édit de Nantes s’inscrivait dans la ligne politique suivie et imposée par Louis XIV : un seul roi, une seule loi, une seule foi. Il voulait vider le royaume de “ la souillure calviniste ”, parce qu’il la jugeait préjudiciable à son unité. Les conséquences à l’échelon de l’Etat seront néfastes pour la démographie et l’économie de la France. Sur un million de protestants, environ deux cent cinquante mille chercheront refuge dans des pays d’accueil en songeant peut-être revenir après la tourmente. Ceci explique probablement pourquoi, parmi les laboureurs notamment, et dans une même famille, certains émigrèrent et d’autres restèrent afin de conserver le patrimoine, car en abandonnant leurs terres, ils auraient tout perdu. Ces émigrés se dirigèrent vers les pays étrangers où s’étaient installés leurs ancêtres : la Grande-Bretagne, refuge du pasteur de La Gazelle, Pierre Astruc, dès 1691 ; la Martinique vers laquelle voguèrent quelques habitants de Ségur ; mais surtout, en ce qui concerne les émigrants du Haut-Pays d’Auvergne, la Suisse, dans la région de Neuchâtel où quelques-uns se fixèrent, et l’Allemagne, où beaucoup s’établirent. Ils s’en allèrent par monts et par vaux sur les routes du refuge, bravant la fatigue et les dangers, jusqu’aux pays d’accueil où ils furent pris en charge par la communauté française. La majorité de ceux venus de Haute-Auvergne gagnèrent la région du Hesse-Kassel, parce que le landgrave Charles Ier, dans un esprit mercantiliste, avait promulgué deux édits successifs (18 avril et 1er août 1685) accordant des privilèges attractifs aux protestants nantis, aux marchands, aux artisans exerçant notamment des métiers délaissés dans son pays, autrement dit , après la guerre de cent ans qui avait meurtri le Hesse-Kassel, à ceux des migrants susceptibles de redynamiser une économie en sommeil. Déracinés, ils durent encore faire face à la méfiance et à la jalousie des autochtones, irrités par les avantages dont ces nouveaux venus devaient profiter et la concurrence jugée déloyale de ces étrangers exempts d’impôts pendant quinze années et de service militaire. L’amalgame aura pourtant lieu : les émigrés fonderont dix-neuf villages et deux villes (kassel-Oberneustadt et Karlshafen), occuperont quatre quartiers sur huit de la ville d’Hofgeismar et laisseront de nombreux vestiges ainsi qu’une descendance fort bien enracinée dans leurs pays d’adoption.

Pour conclure, disons que la faible implantation du calvinisme en Haute-Auvergne limitèrent les conséquences fâcheuses de la révocation de l’édit de Nantes pour la démographie et l’économuie locales. Répondant en 1735 à une enquête de l’évêque de Clermont, le curé de Ségur répondit que les cinq familles de derniers convertis accomplissaient régulièrement leurs devoirs religieux. Des huguenots, il ne resta bientôt plus dans le Haut-Pays d’Auvergne que l’appellation péjorative “ iganaus ”, dont étaient affublés avec mépris certains individus au comportement douteux.