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Recherche de l’eau en Planèze de Saint-Flour :

Hydrogéologie et paléohydrographie de la planèze de Saint-Flour
à partir de la méthode Audio Magnéto-tellurique

Alain Choquier, Joseph Boudou, Daniel Busch et André Dupis

Le strato-volcan du Cantal est en forme de cône d’une dizaine de kilomètres de diamètre ; il couvre une superficie de 2700 km2 ; il culminait à l’origine à plus de 3000 m. Il a percé une plate-forme granito-gneissique de pente orientée vers le sud (de 1200 à 700 m d’altitude). L’activité volcanique a débuté il y a environ 15 Ma, elle a connu un paroxysme acide avant de s’éteindre sur une phase basaltique il y a 1,3 Ma. C’est cette dernière phase qui a constitué les planèzes.

A partir du Néogène , le Massif Central prend son aspect actuel avec la constitution de dépôts sédimentaires continentaux ou lacustres. Au Mio-Pliocène de grands fleuves coulent vers le bassin de Paris ; plus tard, au Pontien les profils d’équilibre s’établissent et les « sables à chailles » s’accumulent. Plus tard encore ce sont les glaciers de vallées qui agissent en créant dans les zones de forte altitude les cirques, les vallées en U, les buttes moutonnées et les blocs erratiques que l’on connaît.

La planèze de Saint-Flour est bien séparée des principaux sommets. Le dernier glacier qui s’y est installé, à une époque tardi-würmienne, serait plutôt la conséquence d’une crue du glacier de l’Alagnon qu’un véritable glacier de plateau identique à ceux des phases précédentes.

En 1922 Glangeaud s’est interrogé sur le cours de la Truyère, l’hypothèse de sa capture par un affluent du Lot et le virage à angle droit vers l’ouest qui s’ensuivait, justifiaient la recherche du cours primitif, disparu sous les produits volcaniques de la planèze. Des arguments pétrographiques lui ont permis de proposer la solution d’un parcours vers le nord qui venait rejoindre l’Alagnon à la hauteur de Joursac (Fig.1). Ce faisant la rivière a connu et subi les activités volcano-tectoniques qui ont affecté la région de Saint-Flour à partir de la fin de l’ère tertiaire. C’est pourquoi ce premier tracé n’est pas facile à mettre en évidence sur le terrain, ce qui a autorisé d’autres hypothèses (de Goër, 1980, 1992) attribuant un cours orienté plutôt vers l’ouest, passée la ville de Saint-Flour (Consultation de l’article fondateur de L. Glangeaud).

Figure 1. Haut : Réseau hydrographique actuel en Auvergne. A : plan général ; b : plan de détail à proximité de la planèze. En traits interrompus : limite de la zone prospectée ; en hachures : aquifère principal.

Figure 1. Bas. Les Méthodes. a : Schéma du dispositif de sondage électrique sur le terrain. I : courant injecté (mA) ; ΔV : réponse du terrain mesuré en mV. b : schéma du dispositif audio magnéto-tellurique.

Il était difficile de choisir entre les deux solutions en l’absence de données accessibles directement ou indirectement. Une première réflexion a pu être conduite, au moins partiellement, lors des travaux de recherche d’aquifères pour alimenter tant la ville de Saint-Flour que les villages de la basse planèze. Ce sont les méthodes sensibles à la résistivité électrique des formations géologiques qui ont été privilégiées à côté de quelques cartographies magnétiques.

La méthode électrique classique (Aubert et Roux, 1980) fut mise en œuvre avec les sondages de longueur moyenne (jusqu’à 1 km) mais leur exécution et leur interprétation posaient quelques problèmes sur une topographie découpée. La méthode magnéto-tellurique (M.T.) (Dupis et Gibert, 1977) offre une alternative intéressante dans cette situation, car elle ne demande qu’une faible extension sur le terrain pour une profondeur dépassant largement les espoirs en terme d’aquifères productifs. C’est dans sa version audio M.T. que la méthode a été utilisée; c’est en effet celle qui convient lorsque l’on vise une investigation comprise entre quelques dizaines de m et un km.

Dans la méthode des sondages électriques on dispose quatre lignes électriques reliées à quatre électrodes. Deux sont destinées à envoyer un courant (A et B); les deux autres (M et N) sont chargées de mesurer la tension qu’il crée en traversant les terrains. On peut ainsi suivre l’évolution de la résistivité électrique des formations géologiques depuis la surface jusqu’à une profondeur qui est environ le ¼ de la longueur de la ligne d’injection, en portant cette longueur de 2 m à 1000 m, on peut atteindre 250 m (Fig.1 Bas).

Avec la méthode magnétotellurique, on simplifie les opérations de terrain dans la mesure où l’on n’installe qu’une seule ligne électrique de longueur fixe (ici, 50 m) et un capteur magnétique. Ici c’est la période des phénomènes analysés, engendrés par les orages atmosphériques tropicaux qui contrôlent la profondeur des terrains sondés. C’est la loi de l’effet de peau (« skin effect ») qui réprime le phénomène de concentration des périodes rapides en surface alors que les plus lents se propagent en profondeur. Dans cette application, les fréquences (inverses des périodes) s’étendent de 4 à 2500 Hz, et on atteint facilement le km d’épaisseur de terrain. Au cours d’une journée de mesures on peut effectuer 4 ou 5 sondages électriques, mais 15 à 20 sondages M.T.

C’est ainsi que dans un premier temps on a pu répondre au problème hydrogéologique (Dupis et al., 1996) et, dans un second, reconsidérer la paléohydrographie de la région à la lumière des résultats quantitatifs d’une campagne de géophysique élargie.


HYDROGEOLOGIE.

Les investigations se sont limitées à une partie de la basse planèze de Saint-Flour, telle que décrite par De Goër (1972). La Fig.2 situe géographiquement l’aire prospectée pour chacune des campagnes de mesures.

Figure 2 : Plan de situation de la zone prospectée. a :sondages audio M.T. ; b : sondages électriques ; c : forages ; d : appareils éruptifs ; e : contour de la première prospection ; f : contour de la seconde prospection ; g : contour de l’aquifère.

Après les premières investigations, il apparaissait que les meilleurs réservoirs potentiels se trouvaient sous les produits volcaniques du Cantal. La géologie se résume ainsi : présence d’un socle gneissique sur lequel reposent successivement des argiles oligocènes et miocènes, une coulée de basalte, les « sables à chailles » du Miocène supérieur et un puissant lahar lui-même couvert de produits volcaniques doléritiques et basaltiques. Ces derniers proviennent de bouches émissives très locales. Limitée à cette aire restreinte, la tectonique paraît aussi simple que la topographie qui a inspiré le nom générique de planèze.

La première opération audio M.T. a comporté l’exécution d’une cinquantaine de sondages équitablement répartis à la surface en évitant les pointements volcaniques, les abords d’une ligne EDF HT et une voie de chemin de fer électrifiée en 1500 v continus. On a pu vérifier la simplicité de la structure générale par l’absence d’anisotropie dans la réponse M.T. A de rares exceptions près, les courbes ont indiqué la succession des terrains (Fig.3). La résistivité électrique des terrains n’évolue qu’avec la profondeur comme dans un modèle tabulaire.

Figure 3 : Résultats de la première prospection, carte des isobathes de la base de l’aquifère principal ; équidistance 10 m ; en hachures : paléovallée et son axe. A droite : log simplifié du forage F3 et sondage audio M.T. S49 correspondant ; a : colluvions ; b : alluvions mixtes volcaniques et granitiques ; c : ensemble volcano-sédimentaire ; d : alluvions essentiellement granitiques ; e : graviers ; f : basaltes ; g : lahars ; h : argiles ; i : argiles rouges.

Les données acquises confrontées à la géologie puis aux résultats des forages ont conduit à la vérification d’un schéma partant de formations superficielles conductrices (Tableau 1) pour rencontrer des formations basaltiques moyennement résistantes puis le lahar conducteur, les alluvions, les argiles très conductrices et enfin le gneiss très résistant. L’ensemble est synthétisé en Fig. 3. Les coupes géoélectriques conduisaient à proposer un site de forage situé prés de Coltines où le premier terrain conducteur, aquifère potentiel, se situait à faible profondeur et avec une bonne puissance. Compte tenu de l’existence généralisée de formations conductrices, il allait être difficile d’identifier un aquifère et d’en suivre l’évolution sur le plateau. Un forage est alors exécuté en F2 mais s’est montré peu productif malgré un jaillissement artésien initial (Figure Hors texte). Un autre forage (F3) a été entrepris à 300 m au NNE du précédent. Les formations rencontrées n’ont pas démenti la coupe prévisionnelle avec l’identification de trois aquifères, le principal étant situé dans le lahar entre 69 et 143 m de profondeur. L’ensemble des opérations conduisait à l’identification d’un axe SE-NW passant par l’extrémité ouest de Coltines. Du point de vue géologique le forage F2 (35 m3/h) se situe sur le flanc de la vallée de la proto-Truyère miocène. Le forage F3 (150 m3/h) est implanté sur l’axe même de la proto-vallée. Des essais de pompage entre les deux sondages ont permis d’obtenir un débit de 120 m3/h qui peut être envisagé en permanence. La température de l’eau, 16,5°C, est conforme au gradient géothermique moyen de la région (1°C pour 20 m). La perméabilité des terrains (K= 10-6 m/s) est faible ce qui garantit une bonne filtration de l’eau pour un débit satisfaisant. L’eau est d’excellente potabilité, bicarbonatée (Ca et Mg), peu minéralisée, sans CO2 libre, les nitrates, le Fe et le Mn y sont en très faible proportion, le pH est légèrement basique.

Figure 4 : Résultats de la seconde prospection. Carte des isobathes de l’aquifère, équidistance 75 m. Situation du groupe éruptif classé chronologiquement. 1 : barrière volcanique non visible en surface ; 2 : Puech de Luc ; 3 : Puech d’Ussel ; 3’ : Puech de St Loup « extrémités d’une fissure éruptive » ;4 : Ségombre, nappe inférieure ; 5 : La Roche, nappe supérieure avec la nappe supérieure de 4 ; 5 : Puech Derrière. Réveils posthumes atypiques : 6 : Puy de Barre ; 7 : Puy de Talizat. Les flèches indiquent les directions principales d’écoulement.
Profondeurs (m) Couches géologiquesRésistivité (Ωm)
0 - 6 formations superficielles 5
6 - 60 coulées basaltiques +alluvions sèches+ pyroclastites200
60 - 140 lahar 15 à 30
140 - 280 alluvions humides 3 à 10
280 socle gneissique sain >300
Tableau 1 : Relations entre couches géologiques (nature de la roche) et couches géophysiques (résistivité).

PALEOHYDROGRAPHIE

Mis sur les traces de cette proto-Truyère, il était tentant de poursuivre les mesures pour mieux appréhender cette paléo-situation et tenter de fournir une meilleure réponse aux géologues qui se heurtent à l’obstacle de la couverture volcanique dans leur tentative de reconstitution du réseau hydrographique ancien.

Les premiers sondages audio M.T., s’ils avaient permis la détection de l’ aquifère recherché, n’étaient pas en mesure de satisfaire la recherche hydrographique qui nous intéresse maintenant. On a doublé le nombre des sondages en comblant les lacunes importantes pour une meilleure homogénéité de la répartition et pour prendre en compte les pointements volcaniques qu’on avait soigneusement évités dans la première phase. Ce nouvel ensemble de données, une centaine de mesures, permet l’établissement de cartes plus complètes. Nous présentons sur la Fig. 4 une carte des profondeurs de la base de l’aquifère et des pointements volcaniques avec leurs principales directions d’écoulement. Elle met aussi en évidence, en 1, une sorte de barrière volcanique et/ou tectonique également visible sur la Fig 5. Elle fait bien ressortir un important axe N-S et un axe E-W décalé à l’intersection du précédent. Ce document indique ainsi l’existence de deux chenaux pratiquement orthogonaux, image plus ou moins exacte d’un paléo-réseau hydrographique. La coupe Fig. 5 illustre le profil de cet aquifère bien que l’échelle verticale doublée accentue sérieusement le relief. La topographie de sa base parait tourmentée ; il faut y voir pour une petite part le rôle de l’incertitude relative des mesures mais surtout le rôle du volcanisme qui a fortement bouleversé l’ordonnance des interfaces successives. Le fait que l’on mette en évidence (2) le rôle latéral du Puech de Luc dans la déformation de l’aquifère, conforte sérieusement cette explication et justifie l’existence de la barrière volcano-tectonique proposée en (1).

Figure 5 : Coupe de l’aquifère principal sur le profil P1 de la Figure 2.

Figure 6. Cartes des isovaleurs de la cote de la base et du toit de l’aquifère, équidistance 100 m. Haut : base avec hachures < 700 m. Le premier chiffre indique l’altitude de la base, le second l’altitude de la topographie au pied de la planèze. Bas : toit avec hachures <950 m. Le premier chiffre indique l’altitude du toit, le second l’altitude de la topographie sur la planèze.

Figure 7 : Directions d’écoulements de la proto-Truyère et du proto-Alagnon sur la carte de l’épaisseur de l’aquifère, équidistance 50 m. Haut : proto-Truyère ; 1 : en hachure lit de la Truyère ; 1’ : cours de l’Alagnon ; 2 : barrière volcano-tectonique ; 3 : déviation de la proto-Truyère. Bas : proto-Alagnon ; 4 : Puech de Luc ; 5 : première éruption de Ségombre ; 6 : embryon du cours de l’Alagnon vers l’Ander.

En considérant les altitudes des points de sortie de la base de l’aquifère (Fig 6a) et la chronologie des éruptions (De Goër, 1972) on peut proposer (Fig 7) une représentation du paléo-réseau hydrographique avec sa mise en place dans le temps. Sur la Fig 7a dans un premier temps, la Truyère, ancien affluent de l’Alagnon s’écoulait vers le nord dans une très large vallée (1). L’Alagnon descendait le flanc est du strato-volcan cantalien et coulait sous la basse planèze actuelle (1’); la Truyère le rejoignait au niveau de la « Grange du Liard ». Ensuite une émission volcanique édifie une barrière continue perpendiculairement à la vallée (2) ; elle est située sur un axe radiaire du strato-volcan et coupe le cours de la Truyère vers l’Alagnon. La Truyère emprunte alors dans un tracé vers l’est une partie du cours du Babory puis elle s’oriente à l’est de Savignac et à l’ouest de Talizat (3) jusqu’à Joursac (Fig.1). C’est alors que l’éruption du Puech de Luc (Fig 7b-4) interrompt son cours vers le nord ; il y a modification du sens de l’écoulement et la Truyère est captée par un affluent du Lot.

L’Alagnon ne subit pas de modification de son cours vers le nord (1’). Les éruptions des Puechs de St Loup et d’Ussel ont peu d’influence sur son trajet qu’elles poussent légèrement vers le nord. En revanche, la première éruption de Segombre (5) lui condamne le passage vers le nord et il coule alors provisoirement vers l’Ander en direction de la Truyère (6). La seconde éruption de Segombre et celle de La Roche combinée à l’édification de la fissure éruptive des Puechs de St Loup et d’Ussel bloquent son cours vers l’Ander; la voie du nord est définitivement barrée sous la Planèze et l’Alagnon prend son cours actuel.

Avec la Fig. 8 on s’intéresse plus précisément au cours de l’Alagnon. On constate qu’entre Murat et Joursac le cheminement actuel n’est pas cohérent avec la première partie du parcours. Le cours suggéré passant pratiquement par Coltines paraît plus régulier ; il propose une longueur d’onde des ondulations mieux en harmonie avec le reste du parcours de la rivière. Cette figure met bien en évidence (flèches grasses) l’ancien tracé qui fut repoussé vers le nord par la mise en place successive des différents pointements volcaniques.

Figure 8 : Ancien cours de l’Alagnon. 1 : affleurements volcaniques ; 2 : contours de la zone prospectée ; 3 : aquifère ; 4 : axe de la paléovallée ; 5 : altitude de quelques points sur les cours d’eau.

CONCLUSION

La prospection géophysique mise en œuvre initialement pour une recherche d’aquifère nous a permis de retrouver un chenal miocène dans les environs de Coltines. Une extension de l’aire prospectée et le doublement des points de mesure, ont révélé non pas un seul mais deux chenaux. Ces observations confirment l’existence d’une proto-Truyère traversant du S au N la basse planèze. Elle était bien un affluent de l’Alagnon et par là tributaire de l’Allier puis de la Loire. Le tracé primitif de l’Alagnon correspond à l’une des hypothèses présentées par De Goër (1992) lorsqu’il envisageait toutes les solutions possibles pour le cours de la proto-Truyère. Cependant les cotes indiquées dans la Fig.4b montrent bien l’impossibilité qu’il s’agisse de la Truyère qui aurait dû alors couler à contre-pente; c’est bien l’ancien trajet de l’Alagnon sous la planèze, avant l’action du volcanisme et des glaciations.

Pour plus de détails :

De Goër de Hervé, A. 1972. La planèze de Saint-Flour. Annales scientifiques de l’Université de Clermont. 47 : 144p.
Dupis, A.& A. Choquier. 1999. Hydrogéologie et paléohydrographie de la planèze de Saint-Flour, Massif Central, France. Bull. Soc. Géol . France ; 4 : 559-568.
Dupis, A., A. Choquier & D. Busch. 1996. Le rôle de l’audio M.T. dans la recherche d’un aquifère sur la planèze de Saint-Flour. Hydrogéologie ; 3 : 3-12.
Glangeaud, P. 1922. Le bassin oligocène effondré de Saint-Flour, Le Malzieu, la Truyère miocène, affluent de l’Allier. C.R. Académie des Sciences, Paris, 174 : 401-404.
Simon-Coinçon, R. 1993. Incidence du paléodraînage mio-pliocène et de la tectonique sur le réseau hydrographique actuel dans le sud-ouest du Massif Central.. Géol. France, 1 : 29-40

André Dupis,
7 Rue des Marguerites
58400 La Charité-sur-Loire

E-mail : André Dupis

Perméabilité d’un terrain : se mesure en Darcy. Un terrain a une perméabilité de 1 Darcy lorsqu’un fluide de viscosité de 1 centipoise s’y déplace sous l’influence d’un gradient de pression de 1 atmosphère par centimètre, à la vitesse de 1cm/s.

ARTICLE FONDATEUR

Philippe Glangeaud
Le bassin oligocène effondré de Saint-Flour, Le Malzieu,
la Truyère miocène, affluent de l’Allier.
C.R. Académie des Sciences, 1922, Paris, 174 : 401-404.