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La « Pierre de Justice » de Ydes - La Garde

Michel BHAUD
DR. CNRS

Garde (la), village sur une élévation, au nord du chef-lieu. On y remarque une énorme pierre appelée Pierre - de - la - Justice, que l’on suppose avoir été un hôtel druidique. « Je conseille, dit l’auteur de l’ Ancienne Auvergne , je conseille au voyageur curieux d’aller au village de la Garde voir une pierre isolée, dite Pierre - de - la - Justice, et d’écouter, s’il n’est pas pressé, les longues histoires qu’on lui contera sur ce monument »

Dictionnaire statistique et historique du Cantal, M. Deribier Du Chatelet, Volume V : p. 626

Figure 1. Situation géographique de la « Pierre de Justice ».

Cette "pierre" est située à proximité de Ydes-Centre, à égale distance de ce bourg et de la gare de Saignes. Quitter Ydes-Bourg par la D 36 sur une courte distance, et à la sortie de ce même village prendre à droite (direction Nord) par la D136. S’arrêter sous le village de Lagarde. Pénétrer dans la prairie en direction de la chaîne du Sancy visible à l’horizon. L’accès à pied est aussi possible à partir du village de Montassou. Carte géologique de Mauriac : partie droite supérieure. Altitude 520m.

Ce n’est pas un monolithe mais un ensemble de plusieurs blocs occupant une surface au sol de 180 cm sur 320 cm. Deux pierres principales attirent l’attention; la première est couchée sur la prairie. Elle est de forme allongée avec plusieurs dépressions pouvant faire penser à une empreinte d’homme; en particulier les emplacements d’une tête, d’un bras, peuvent être reconnus. Longueur totale de la gouttière : 150 cm. La seconde pierre est plutôt aplatie ; cet aplatissement est très irrégulier : l’épaisseur maximale atteint 60 cm pour la partie aérienne et seulement une dizaine de cm pour la partie basale, mais cette partie est partiellement enterrée. Elle est disposée obliquement et ne présente pas de structure particulière, à part son contour tourmenté. Deux blocs secondaires (40 et 50 cm dans leur plus grande dimension) ont une forme clairement émoussée, calent la précédente sur son côté orienté au sud-ouest (N225). Leur forme rappelle des blocs roulés. Des coupes fraîches réalisées sur les deux blocs principaux et les blocs secondaires permettent de reconnaître la même nature de roche : un basalte assez fragile, altéré en surface, avec des cristaux blancs, allongés de feldspath.

figure a

figure b

figure c

Figure 2. A. Les deux éléments les plus imposants qui constituent la Pierre de Justice ; photographie en direction du sud-est. L’élément de gauche est creusé en gouttière ; l’élément de droite est plutôt aplati. Des blocs plus petits partiellement enfouis dans le sol complètent le site. Tous les blocs sont de même nature basaltique et diffèrent du substratum. Les illustrations B et C montrent les mêmes éléments sous des angles différents. En B : vue prise en direction du village de Montassou, en C : détail du bloc en gouttière.

Les deux blocs principaux et les blocs secondaires sont disposés selon la direction nord-ouest : sud-est. Dans cette direction l’emprise au sol est de 320 cm. Le bloc « couvercle » a une forme générale triangulaire de 160 et 170 cm pour les deux côtés obliques et 180 cm pour la base. Son volume est proche de 0,5 m3 et une densité de 2,8 donne un poids de 1,4 t. Sa manipulation n’était pas évidente.

Ces pierres sont disposées sur l’axe d’un compartiment faillé constitué d’orthogneiss à muscovite-biotite (respectivement mica blanc et mica noir) recouvert d’un placage de sédiment houiller. Cette barre d’orthogneiss domine à 560m. Les éléments de la Pierre de Justice sont en position non exactement sommitale mais sur la pente. Deux jeunes chênes sont à proximité. Ce site constitue un éperon regardant le nord-est. Il domine au sud-est la dépression de Ydes-Bourg (428 m) et au nord-ouest un couloir sans rivière emprunté par la voie de chemin de fer de Bort à Mauriac. Ce passage est à une altitude de 445m. Ce tracé a été emprunté par une diffluence de l’ancien glacier de la Sumène. L’abondance des glaces dans cette partie basse des bassins Dordogne-Rhue-Sumène jointe à la mauvaise circulation vers l’ouest a obligé le glacier a dévier vers le sud en direction de Ydes-Bourg. Au moment du dernier maximum glaciaire, les villages de Montassou, Fanostres, La Garde étaient recouverts de glace qui charriait un matériel important. L’épaisseur de ces glaces atteignait un minimum de 130m. Lors du retrait glaciaire, des blocs épars se sont déposés. Dans le secteur de Montassou, les blocs erratiques visibles ne sont pas nombreux; mais quelques blocs ont été mis à jour dans la même prairie à l’ouest de la Pierre de Justice; en particulier un bloc de basalte nettement arrondi (Figure 3) . Ce basalte bleu très dur est d’origine allochtone (étrangère).

Figure 3. Bloc de basalte à olivine partiellement mis à jour, situé à environ 80 m de la Pierre de Justice. Son aspect sphérique qui ne fait pas de doute indique une origine lointaine et un transport long. Les jumelles donnent l’échelle.

L’environnement immédiat de la Pierre de Justice est intéressant du point de vue géologique. Le flanc nord de l’éperon, à une vingtaine de mètres de la Pierre de Justice, permet d’observer un placage de terrain houiller constitué d’un conglomérat peu compact (Figure 4) . C’est une écaille des dépôts continentaux accumulés dans le fossé d’effondrement du Sillon Houiller. Nous sommes en présence de la base du remplissage par une brèche dont les blocs sont des fragments du granite d’Ussel à l’ouest et micashistes-migmatites à l’est. Le passage aux poudingues avec galets bien arrondis est aussi observé.

Figure 4. Aspect général de l’affleurement des formations primaires (Stéphanien) montrant une brèche à éléments de tailles très variées. 20 à 30 m de la Pierre de Justice.

Figure 5. Détail du conglomérat bréchique observé à proximité de la Pierre de Justice. L’aspect anguleux des blocs est bien visible. Ces éléments sont constitués de micaschistes et de gneiss ; ils représentent l’érosion par les rivières du substratum voisin.

Cette courte incursion géologique indique une nature pétrographique des roches en place bien différente de celle qui constitue la Pierre de Justice. Autrement dit la Pierre de Justice a été transportée et l’origine du transport est à rechercher dans les phénomènes glaciaires.

Selon la légende (informateur A. Galvaing à Saignes, d’après un article de C. Vigouroux dans L’Echo de la Sumène) on plaçait le supplicié dans la pierre creuse; il était ensuite recouvert du lourd couvercle constitué par le second élément, et mourait écrasé. En fait il y aurait eu changement d’affectation de l’ensemble lithique qui aurait été, antérieurement au christianisme, un sarcophage destiné à un chef. Au Moyen Age, le village de La Garde, compte tenu de l’importance de sa population, possédait une chapelle; ce village aurait probablement aussi été le siège d’un tribunal, d’une justice. Une potence y aurait été aménagée pour faire peur puis pour pendre les adultes criminels. Ensuite l’instrument de la justice aurait été modifié; on aurait oublié la pendaison de La Garde pour privilégier l’écrasement. La Pierre prend la place de la Potence. Le supplice est alors associé à l’ancien monument funéraire. Une autre légende, dont les sources ne sont pas encore définies, relie la Pierre de Justice à la vie du Sire de Charlus, sa femme Clotilde, le monastère de Mauriac et…les corneilles noires très nombreuses dans nos campagnes.

L’interprétation de C. Vigouroux concernant la pierre de justice d’Ydes-La Garde et faisant appel au transfert ou la substitution, dans les mentalités, de l’outil de la justice, est probablement acceptable; il reste à savoir si elle s’applique à « notre » pierre de justice. La multiplicité des pierres de justice, le fait que la fonction de justice ne soit pas toujours reconnue pour un site donné, indiquent l’affectation spontanée d’un site quelque peu particulier à cette fonction importante de la vie sociale sans que cette dernière soit effectivement réalisée.

En conclusion, sur le plateau de La Garde – Montassou (commune de Ydes), des blocs de différentes dimensions ont été déposés par les glaciers. Leur nature différente de celle du socle local confirme le transport classique qui explique la dispositions des blocs erratiques sous environnement glaciaire.

Les formes en creux repérées sur un bloc de grande taille, peuvent être d’origine naturelle; elles ne correspondent que très grossièrement et très partiellement à l’anatomie humaine; l’utilisation de ces pierres pour fin de justice ou de supplice, ne semble pas probable. De même l’utilisation comme sarcophage est douteuse : la profondeur de la cavité est insuffisante. Il n’en demeure pas moins qu’à ce site sont associées différentes légendes dont le souvenir mérite d’être conservé.

Note complémentaire 1 (février 2005) :
Les pierres de justice sont très nombreuses. Hughes Berton (Sorcellerie en Auvergne, De Borée ed.) signale une pierre de justice à Ortigier (Mauriac) et fait référence à Lauras-Pourrat et précise « Le menhir se trouve au N.E. d’Ortigier sur la route, à gauche en allant de Sourniac à Arches ». C’est en fait le menhir d’Arches décrit par Surmely p.46. Une autre pierre de justice est signalée en limousin par François Guyot (Les Pierres à légendes du limousin, SELM ed.) : la pierre branlante de Boscartu, village Les Cieux, Haute-Vienne. En Bourgogne, les villages de Couches et Saint-Pantaléon (Saône et Loire) abritent des menhirs dressés mais aussi un ‘champ de la justice’ : un ensemble d’une trentaine de pierres partiellement enfouies dans les terres agricoles (Patrick Seurot, Bourgogne n°44 : p. 32-37). Lauras-Pourrat (Guide de l’Auvergne mystérieuse, Tchou ed. 1996) p 154. donne les précisions suivantes dans l’article « L’abbaye d’Aubrac ». Le Dom d’Aubrac était autorisé à élever des potences pour punir les brigands et les effrayer. Il y eut notamment des gibets sur les ruines du village de Marchastel, en Lozère, au Belvezet, qui domine la route d’Aubrac à Saint-Chély, et dans la montagne de Rigambal.

En Suisse, une pierre de Justice est aussi signalée dans la commune de Satigny, à proximité de la frontière française. Elle porte une croix pattée; (Ref : http://www.templiers.org/plateforme0044.html ).

En Belgique, au sud-ouest de la ville de Namur, commune de Mettet, Place de Brogne, le ‘trou des plaids’ ou Pierre de Justice, est abritée dans une large niche. Encore en Belgique (Ref : http://www.califice.net/justice/ ) une terre de la justice est signalée à Wavre, région de Louvain-la-Neuve. Voici ce que l’on peut lire sur ce site. « Il était coutume autrefois d’exécuter les criminels condamnés à la pendaison en un endroit écarté de la localité, élevé de préférence. A Wavre le gibet était planté, lors d’une exécution, sur une terre réservée à cet effet et appelée « Terre de la Justice », à peu de distance de la ferme de Lauzelle qui est située à 137 m d’altitude, alors que le centre de la ville est à environ 44 m ».


Note complémentaire 2 (juin 2006) :

Une recherche récente, qui implique MM Abrard et la Médiathèque de Ydes, m'a permis de retrouver un conte écrit il y a quelques années et intitulé "La légende de la pierre de la justice". Avec l'autorisation de l'auteur, nous donnons ici  le  premier paragraphe ainsi que le dernier paragraphe de ce conte.

LA PIERRE DE JUSTICE

Nous sommes en l’an de grâce 1281, en vertu d’un traité passé avec Bertrand III sire de La Tour d’Auvergne, lui, Géraud de Sauzet, commandeur du temple a droit de justice dans le bourg d’Ydes et sur ses autres possessions, notamment ce lieu dit de « l’hospital » où une léproserie  s’est installée longeant la route impériale 122. Cette route draine toutes sortes de voyageurs et si Géraud de Sauzet est perplexe en ce jour, c’est qu’une étrange voyageuse a trouvé refuge en la léproserie ; il paraîtrait qu’elle se nomme Dame Clotilde, épouse du seigneur de Fousty….

 

….Alors avec une formidable clameur sauvage des dizaines de bras firent basculer la pierre. Comme après les catastrophes, il y eut un grand silence ; chacun mesurait l’horreur de ce qui venait de s’accomplir, mais tous l’avaient fait en pleine conscience avec le même sentiment du bon droit. Puis quelqu’un dit : « Dorénavant cette pierre sera celle de la justice » et cette parole fut d’or, car sept siècles plus tard elle se nomme encore ainsi. En souvenir du bon roi Louis XI qui rendait la justice sous un chêne, on en planta deux à la tête de la pierre pour que l’ombre de la justice plane sur ces lieux chaque jour où le soleil brille.

Ainsi se termine la légende de la Pierre de la Justice

l'oiseau

Pour se procurer le texte de cette légende contacter son auteur :

 

Madame Sylviane Blomme-Pille

11 Rue de la Maisonneuve

44350 Guérande

 

e-mail : Sylviane Blomme-Pille

 

Hélas le site actuel est bien modifié. Si les deux pierres principales sont encore visibles, les chênes viennent de disparaître.

Vocabulaire :

Sillon houiller : accident de grande dimension, d’orientation NNE-SSW, à l’ouest du Massif Central, s’étendant de Moulins-Noyant à Décazeville; cette dépression limnique (eau douce) a été comblée par des dépôts variés dont le charbon, puis comprimée par les mouvements ultérieurs qui ont rapproché les deux flancs du Sillon.

orthogneiss : gneiss formé à partir de roches magmatiques; s’oppose à paragneiss (formé à partir de roches sédimentaires).

basalte : roche magmatique (=volcanique), effusive du fait de sa fluidité ; roche très répandue constituant 95% des laves continentales et océaniques.

micashistes : roche métamorphique à foliation marquée, riche en deux micas (mica blanc et mica noir) en quartz, feldspath se présentant en grosses cellules.

migmatites : gneiss granitisé

conglomérat : roche sédimentaire détritique formée de débris de roches liés par un ciment. Lorsque les éléments sont anguleux, le conglomérat porte le nom de brèche ; lorsque les éléments sont arrondis, le conglomérat porte le nom de poudingue.

Stéphanien : étage le plus récent du Carbonifère, datant de 300 millions d’années.

Carbonifère : période de l’ère primaire ou paléozoique, située entre le dévonien et le permien.