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Le plus grand volcan d'Europe : le Cantal

Pierre Nehlig*, Pierre Boivin, Alain de Goër, Jean Mergoil,
Gaëlle Prouteau, Gérard Sustrac et Denis Thiéblemont

*BRGM
BP 6009, 45060 ORLEANS Cedex, France
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Avertissement :
Après plus de deux siècles de débats quelquefois animés - depuis que leur nature volcanique a été mise en évidence (Guetard, 1752) - la distribution cartographique du volcanisme du Massif central (cartes géologiques au 1/50 000) et les mécanismes de mise en place des édifices volcaniques sont maintenant relativement bien contraints grâce à la réalisation récente de plusieurs travaux cartographiques et de synthèse (Velay, Cantal, Chaîne des Puys…). Il n'en est pas de même des causes profondes de ce volcanisme qui sont aujourd'hui toujours vivement débattues. C'est l'exposé de ces avancées majeures et des interrogations qui subsistent encore qui forment l'ossature de l’article original. Un renvoi vers les ouvrages principaux de synthèse permet d'aller au-delà des notions générales énoncées ici.

L’extrait présenté ici constitue une partie seulement de l’article ayant pour titre « Les volcans du Massif Central » signé par les mêmes auteurs et publié dans la revue Géologue n° 130-131Décembre 2001 « Spécial Massif central » p.66-91. Cet extrait concernant uniquement le Cantal a conservé la numérotation initiale des figures. Il est publié avec l’autorisation de la Rédaction de la Revue et des auteurs.

Le plus grand volcan d'Europe : le Cantal

Le plus grand volcan d'Europe : le Cantal

Il suffit de regarder une carte topographique ou une photo satellite de la France pour être frappé par l'individualité du massif cantalien. C'est, au coeur du Massif central, un immense cône volcanique très régulier et déchiré de vallées rayonnantes (Figure 7). Situé en presque totalité dans le département du Cantal, le massif volcanique du Cantal est le plus grand des strato-volcans français et l'un des plus importants d'Europe avec une superficie actuelle de presque 2500 km 2 . Il présente la forme d'un cône surbaissé dont les dimensions à la base sont de 60 km du Nord au Sud et de 70 km d’Est en Ouest (Figure 8). Les sommets principaux sont regroupés dans la région centrale et les pentes décroissent vers la périphérie. Même si l'altitude maximale n'atteint que 1855m au Plomb du Cantal, l'étendue des espaces au-dessus de 1000 m lui confère des caractères montagnards marqués.

Figure 7 - Schéma structural simplifié du Cantal (projection Lambert II étendu). Les 4 limites en blanc correspondent respectivement, de l'intérieur vers l'extérieur, aux limites interpolées du strato-cône, du piémont laharique, des dépôts d'avalanches de débris et de l'extension actuelle de l'ensemble des dépôts volcaniques (contours persillés). Le découpage en 9 blocs correspond à celui des cartes géologiques au 1/50000 ème avec de la gauche vers la droite et de haut en bas : Mauriac, Riom-ès-Montagnes, Massiac, Pleaux, Murat, St-Flour, Aurillac, Vic-sur-Cère, Chaudes Aigues.

On pourrait penser qu'au terme de deux siècles de travaux un tel édifice volcanique est bien connu. Il n'en était rien jusqu'à ces dernières années et cela malgré un nombre considérable de travaux qui y ont été consacrés avec plus d'une trentaine de thèses de doctorats de géolosciences et plus d'une centaine de publications. Ainsi, aucune vision d'ensemble n'était disponible et une première tentative de cartographie du cœur de l'édifice volcanique, dans les années 1970 et 1980, est vouée à l'échec, par l'absence de consensus sur les mécanismes de mises en place des formations bréchiques qui composent l'essentiel de l'édifice volcanique. Au terme d'un important travail de recherche (Nehlig et al., 2001), l'essentiel de ces dépôts est maintenant réinterprétée et permet d'avoir une vision claire de l'histoire géologique du Cantal. Dans les paragraphes suivants, nous verrons au travers de la présentation de quelques révisions conceptuelles que la volcanologie reste une science vivante même pour de "vieux volcans" comme ceux du Massif central.

Une partie majeure du Cantal est constituée de brèches non stratifiées à éléments essentiellement volcaniques anguleux à subanguleux très diversifiés et mal classés. Le premier à faire le parallèle entre ces brèches et des dépôts analogues issus d'avalanches de débris est M. Boule (1900) qui parle de "coulées boueuses" et les compare aux dépôts de la "vallée des dix mille collines" au pied du Galungung, en Indonésie, dont depuis, il a été démontré qu'il s'agissait de dépôts d'avalanches de débris. A. Lambert (1969) fait l'analogie avec les brèches du Bezymianny (Gorshkov, 1959) mais les interprète comme étant formés par de gigantesques lahars. Mais c'est l'avalanche de débris du secteur nord du Mont Saint-Helens survenue le 18 Mai 1980, la première observée de visu et étudiée en détail, qui a conduit Camus dès 1984 (non publié), A. Hoskuldsson (1989) et J.L. Bourdier et al. (1989) à mettre en parallèle les dépôts de l'avalanche de débris du Mont St-Helens avec les brèches du Cantal. Par la suite, J.M. Cantagrel (1995), G. Fréour (1998) et N. Vidal (1998) proposent les premiers schémas structuraux des avalanches de débris du Cantal, et J.L. Schneider et R. Fisher (1998) et O. Reubi et J. Hernandez (2000) détaillent les dépôts d'avalanches de débris du Nord-Ouest du Cantal.

Un vaste programme de cartographie, de synthèse et d'acquisition de nouvelles données géochronologiques et géophysiques (Nehlig et al ., 2001a et b) fournit maintenant une vision relativement claire de l'évolution de ce stratovolcan dont nous présentons ci-dessous les principaux traits et leurs conséquences.

Résumé de l'histoire géologique du volcan

Le strato-volcan du Cantal s'est édifié pour l'essentiel entre 13 et 2 millions d’années sur le substratum granitique et métamorphique du Massif central. On distingue plusieurs grandes périodes dans l’activité volcanique (figures 8 et 9).

Les premières éruptions basaltiques (13 à 7 Ma)

Un volcanisme basaltique et basanitique précurseur est connu seulement au fond des vallées périphériques et aux marges du massif. Il s'agit d'édifices dispersés, très érodés, comportant quelques coulées parfois associées à des projections stromboliennes. Ils sont actuellement en grande partie masqués par les produits plus récents.

Le volcan trachyandésitique (10 à 6,5 Ma)

Le strato-volcan trachyandésitique s’est édifié entre 10 et 6,5 Ma ; la phase paroxysmique de ce volcanisme se situe entre 8,5 et 7,0 Ma et correspond à la mise en place de laves, brèches et formations cendro-ponceuses de composition principalement trachyandésitique et, dans une moindre mesure, trachytique et rhyolitique. Ces formations n’affleurent qu’au cœur du strato-volcan (24 km de diamètre) et forment l’entablement trachyandésitique des massifs de l’Elancèze et du Plomb-du-Cantal. A la fin de cette période, des dômes phonolitiques se mettent en place (entre 7,5 et 5,5 Ma) selon un axe SSE-NNW.

Les avalanches de débris et les remaniements associés vers 7 Ma

L’édification du strato-volcan s'accompagne de plusieurs déstabilisations de flancs ayant évolué en avalanches de débris. Les formations bréchiques chaotiques qui en résultent affleurent largement en périphérie de l’édifice ainsi que dans les vallées qui l’entaillent.

Figure 8 - Carte géologique simplifiée du Cantal. 1 : basaltes supracantaliens ; 2 : dépôts d'avalanches de débris ; 3 : dépôts de coulées de débris ; 4 coulées et pyroclastites trachyandésitiques et trachytiques ; 5 : basaltes infracantaliens ; 6 : sédiments oligo-miocènes ; 7 : socle hercynien. Le découpage rectangulaire correspond à celui des cartes au 1/50000.

Même figure en couleur

L'ennoiement basaltique (7-2 Ma)

Les vastes plateaux basaltiques (planèzes) qui chapeautent plus de la moitié de la superficie du massif (1400 km 2 ) se sont mis en place entre 7 et 2 Ma. Cette activité n'est représentée dans la zone centrale que par de nombreuses intrusions filoniennes. La carapace basaltique, presque absente dans le quart sud-ouest, peut atteindre localement 250 m d'épaisseur dans la partie nord. Les centres éruptifs, ponctuels ou linéaires, sont très nombreux et disséminés sur toute la surface des planèzes.

L'érosion glaciaire et post-glaciaire de l'édifice volcanique

A la fin de la dernière phase basaltique, les glaciers ont remodelé l'édifice volcanique en façonnant un réseau hydrographique dont la forme radiale actuelle naît au cœur de l'édifice.

Une composante essentielle du Cantal : les avalanches de débris

L'essentiel du massif du Cantal est constitué de volcanoclastites. Celles-ci, majoritairement de nature trachyandésitique, affleurent dans le centre du massif sur une épaisseur pouvant atteindre près de 800 m et diminuent régulièrement vers la périphérie. Ces volcanoclastites révèlent des modes de transport et de mise en place très différents : écoulements pyroclastiques, coulées autobréchifiées, lahars, avalanches de débris. Schématiquement, dans la partie centrale de l'édifice (10 à 13 km de diamètre), il s'agit essentiellement de brèches de nuées ardentes et de coulées autobréchifiées remaniées longitudinalement (17 à 27 km du centre géographique du volcan) en dépôts de lahar. En revanche, dans les parties plus distales du massif, il s'agit de dépôts d'avalanches de débris trouvés jusqu'à près de 40 km du cœur de l'édifice (figure 8).

Le volcan du Cantal est donc constitué de deux grandes formations, associées aux épisodes de construction et de destruction de l'édifice volcanique :

- en son centre, un empilement de coulées et de volcanoclastites, dont la base fortement propylitisée renferme de nombreux dépôts de coulées pyroclastiques, des intrusions trachyandésitiques, trachytiques et rhyolitiques. A ce complexe trachyandésitique succède un complexe laharique vers les marges du strato-cône ;

- en périphérie, les dépôts d'avalanches de débris issus des déstabilisations de flanc successives des édifices centraux et de leurs piémonts lahariques.

Figure 9 - Stratigraphie simplifiée des zones centrales, intermédiaires et périphériques du strato-volcan du Cantal. Un complexe trachyandésitique (coulées de laves, brèches pyroclastiques, dépôts de coulées de débris) occupe les zones centrales de l'édifice. Dans les parties périphériques, celles-ci évoluent vers des dépôts d'avalanches de débris souvent surmontés par des dépôts de coulée de débris. Un volcanisme basaltique précoce et tardif forme localement le soubassement et le toit de l'édifice.

Le matériel source des dépôts d'avalanches de débris : un empilement de coulées et de brèches trachyandésitiques

Localisées dans la partie centrale du massif, les formations qui constituent les zones sources des dépôts d'avalanches de débris se retrouvent dans la plupart des sommets trachyandésitiques.

Stratigraphiquement, ces formations forment l’ossature du strato-volcan, se situent au-dessus des basaltes infracantaliens dans les parties proximales du volcan, ainsi que sous les dépôts d'avalanches de débris dans les parties médianes du Cantal. Des effusions trachyandésitiques tardives recouvrent partiellement les dépôts d'avalanches de débris et témoignent du synchronisme de ces effusions et des avalanches de débris (figure 9).

Cette activité génère surtout des coulées laviques et des dépôts de nuées ardentes généralement faiblement étendus dans un diamètre de moins de 24 km par rapport au centre géométrique du volcan actuel. Les coulées pyroclastiques et laviques les plus lointaines vont jusqu'à Dienne au Nord-Est (8,42 ± 0,16 Ma), Bélinay au Sud-Est (8,21 ± 0,24 Ma) ou le Claux au Nord (8,16 ± 0,12 Ma)(âges K/Ar obtenus sur minéraux séparés).

Caractéristiques des dépôts d'avalanches de débris

L’identification des dépôts d'avalanches de débris n'est pas toujours aisée. En particulier, le gigantisme du phénomène peut facilement induire en erreur, surtout dans la partie centrale de l’édifice, par les dimensions hectométriques des mégaclastes transportés. Leur résistance à l’altération – généralement supérieure à celle de la matrice qui les enrobe – les fait souvent affleurer sans contacts latéraux visibles, ce qui tend à les faire considérer comme étant «en place». Leur reconnaissance suppose de les aborder avec un certain recul, afin de comprendre leur géométrie et pouvoir ensuite les appréhender à plus grande échelle.

En règle générale, la présence de larges blocs métriques à pluri-métriques de composition homogène, entourés d'une cataclasite de composition similaire, et en contact tranché avec des éléments et des matrices de composition différente, permet de reconnaître les dépôts d'avalanches de débris. Une autre caractéristique sédimentologique est la présence de débris fracturés en puzzle.

Les dépôts d'avalanches de débris présentent des faciès similaires dans les différentes vallées où on les rencontre (Cère, Goul, Siniq, Brezons, Epie, Alagnon, Santoire, Rhues, Véronne, Marilhou, Mars, Maronne, Bertrande, Aspre, Doire, Authre, Jordanne). Toutefois, plusieurs faciès peuvent y être distingués : 1) des mégapanneaux englobés dans 2) des faciès à blocs et 3) des faciès mixtes. Le faciès à bloc est composé à 80% de blocs jointifs. C'est un faciès intermédiaire entre les mégablocs et le faciès mixte. Le faciès mixte est composé de blocs pouvant dépasser 1 m de diamètre, moins nombreux, non jointifs, et enrobés par une matrice abondante. En général, la matrice est le produit de la cataclase des blocs, auquel s’ajoutent des éléments injectés depuis le substratum sur lequel s’écoule et se met en place le dépôt d’avalanche de débris. A l'échelle de la lame mince, les minéraux sont éclatés de la même façon que les blocs. La matrice est composée de minéraux libres et de fragments de lave. Elle contient parfois des éléments sédimentaires (calcaires, marnes) ou cristallins (granites, gneiss) incorporés à partir du substratum. Les proportions de ces éléments fluctuent largement en fonction de la proximité des zones-sources et de l’éloignement de la semelle de l’avalanche de débris.

Les mégapanneaux sont souvent composés de brèches d'origine pyroclastique ou épiclastique. Ce sont parfois des fragments de dômes ou de coulées de lave majoritairement trachyandésitique. La plupart du temps, ces "panneaux" de roche ont conservé leurs structures internes (bases de coulées, prismations, stratifications de dépôts de lahar, dykes), mais ont perdu leur orientation de mise en place d'origine. A l'affleurement, ils possèdent généralement une base plane. Au contact avec "l'encaissant", la surface est éclatée (figures en puzzle), avec des injections de matrice vers l'intérieur. Leur base est intensément cataclasée sur plusieurs décimètres (Vidal, 1998 ; Jamet, 1999 ; Reubi et Hernandez, 2000).

Evolution longitudinale des avalanches de débris

Dans l'ensemble du Cantal, le faciès mixte se trouve essentiellement en position très distale. Cette transformation entre un faciès à blocs proximal et un faciès mixte est rencontrée dans toutes les vallées où on peut suivre les dépôts d'avalanche de débris : Cère, Goul, Siniq, Brezons, Epie, Alagnon, Santoire, Rhues, Véronne, Marilhou, Mars, Maronne, Bertrande, Aspre, Doire, Authre, Jordanne. Par ailleurs, la taille des blocs diminue vers l'aval. Ce phénomène indique soit un dépôt des gros blocs à l'amont, soit une fragmentation plus importante de ceux-ci pendant l'écoulement. La fracturation des blocs est liée au passage d'ondes de compression et de dilatation dans l'avalanche de débris au cours de sa progression sur une topographie non-plane. Les éléments ainsi fracturés demeurent sub-jointifs et forment une texture en « puzzle ». Il s'ajoute à cela une abrasion mécanique liée aux chocs et aux frottements inter-granulaires.

Alors que l'essentiel des dépôts d'avalanches de débris du Cantal semble peu canalisé, le dépôt de l’avalanche de débris de la Haute-Cère est enserré entre les massifs du Plomb-du-Cantal et l'Elancèze, tous deux constitués d'un empilement de brèches pyroclastiques (nuées ardentes, coulées cendro-ponceuses) interstratifiées avec des lahars et des coulées de lave (parfois autobréchifiées) trachyandésitique datés entre 9 et 8 Ma.

Les semelles basales des dépôts d'avalanches de débris

La base des dépôts d'avalanches de débris peut prendre plusieurs aspects : franche et érosive ou bien marquée par une semelle polygénique importante. Les travaux de terrain ont montré que la nature de cette semelle est fonction de (1) l'éloignement du cœur du volcan, (2) la nature des substratums rencontrés par l'avalanche de débris durant sa progression, et (3) la nature du relief exposé, enveloppé ou érodé par l'avalanche.

Les formations volcano-détritiques, marqueurs du toit des dépôts d'avalanches de débris

Des dépôts d'origine volcanique, remaniés, puis déposés par des processus éoliens, lacustres ou fluviatiles apparaissent fréquemment, dans le Cantal, au toit immédiat des dépôts d'avalanches de débris lorsque ces derniers ont été scellés et préservés par des dépôts ultérieurs (coulées de débris, coulées de lave). Ils ont généralement des géométries lenticulaires discontinues et marquent la présence de petits bassins comblés par des matériaux d'origine et de nature diverses.

Ces sédiments ont été cartographiés sur les cartes géologiques à 1/50 000 de Riom-ès-Montagnes (Brousse et al ., 1972), Mauriac (Brousse et al ., 1989), Pleaux (Brousse et al ., 1977), Aurillac (Brousse et al ., 1980) et Vic-sur-Cère (Brousse et al ., 1975) comme des niveaux à peu près continus et corrélés à l'échelle de l’ensemble du Cantal. Toutefois, la nature polychrone des dépôts d'avalanches de débris ne permet pas une telle corrélation. Par ailleurs, leurs décalages géométriques ne peuvent être utilisés pour mettre en évidence des failles comme cela a été fait sur ces cartes géologiques. En effet, il s'agit, pour l'essentiel, de remplissages de cuvettes sédimentaires de petite taille comblés par des dépôts de coulées de débris qui viennent niveler la topographie post-avalanche de débris. De tels bassins se sont aussi formés après la mise en place des dépôts de l'avalanche de débris du Mont Saint-Helens du 10 Mai 1980 (Lipman et Mullineaux, 1981).

Signification des lahars au toit des dépôts d'avalanches de débris

A l'exception du Sud-Ouest, les dépôts d'avalanches de débris sont généralement surmontés de dépôts de lahar. Ceux-ci sont observables dans un rayon de 20 km autour du centre géographique du Cantal, le Puy Griou, et leur répartition géographique est dissymétrique. Près des 2/3 des dépôts se trouvent au Nord du volcan où ils affleurent jusqu'à Apchon (vallée de la Petite Rhue, 20 km) et St-Vincent (vallée du Mars, 20 km). Vers l'Ouest et l'Est, les dépôts de lahar s'étendent jusqu'à une distance de 18 km (vallée de la Maronne, Salers). La superficie actuellement recouverte par des dépôts de lahar est d'environ 280 km 2 , pour un volume de l'ordre de plusieurs dizaines de km 3 . Les plus grandes épaisseurs de dépôts de lahar se trouvent également sur la partie nord du volcan où ils atteignent 140 à 180 mètres. Bien que surmontant généralement les dépôts d'avalanches de débris, ils ne leur sont pas génétiquement associés mais correspondent pour l'essentiel, à des remaniements de brèches trachyandésitiques de type nuées ardentes, localisées au cœur de l’édifice trachyandésitique. En tant que tels, ils traduisent des phases éruptives du Cantal et peuvent être utilisés dans les reconstitutions chronologiques des phases de construction et de destruction du strato-volcan.

Combien d'avalanches de débris ?

Le gigantisme des événements de type avalanche de débris complique la distinction et la cartographie de plusieurs dépôts d'avalanches de débris. Cependant, les âges de mise en place des dépôts d'avalanches de débris sont relativement bien encadrés par un grand nombre de datations des formations infra-, intra- et supra-avalanches de débris.

Il s’agit, dans l’ordre chronologique :

- de l’avalanche (des avalanches ?) de débris du Nord et de l’Est (vallées des Rhues, de la Véronne, de l’Impradine, de la Santoire, de l’Alagnon et de la Chevade) antérieure à 7,4 Ma ; les dépôts très érodés de cette avalanche, souvent pelliculaires et discontinus, sont recouverts d’une épaisse série laharique témoignant des épisodes de reconstruction postérieurs ;

- de l’avalanche (des avalanches ?) de débris de l’ouest (vallées du Marilhou, du Mars, de la Maronne, de l’Aspre, de la Bertrande) entre 7,2 et 7,4 Ma ;

- de l'avalanche (des avalanches ?) de débris du sud : vallées du Goul et du Brezons. Cette (ou ces ?) avalanche(s) vient reposer au Sud de la Truyère sur des basaltes de la génération Aubrac, dont le plus jeune (plateau d'Espinasse, feuille de Chaudes-Aigues) est daté à 7,1 +/- 0,1 Ma ; elle est recouverte près de Pailherols par une nappe d'ordanchite et contient dans la vallée du Goul des mégablocs de phonolite ;

- de l'avalanche (des avalanches ?) de débris de la Doire et de l’Authre (entre 7,2 et 7,4 Ma), de la Jordanne (entre 6,9 et 7,2 Ma), de la Cère (entre 6,8 et 7,4 Ma) et de l’Epie (entre 6,8 et 7,2 Ma).

On remarquera que tous ces événements se concentrent dans une fourchette de temps très étroite et que le pouvoir de discrimination de la géochronologie ne permet pas à lui seul de les discerner de façon plus précise.

Ces intervalles chronologiques obtenus par datations des formations supra- intra- et infra-avalanches de débris, vérifiés par les données géologiques (superpositions, emboîtements, cohérences globales) indiquent l'existence d'un minimum de 4 avalanches de débris, respectivement à plus de 7,4 Ma (vers le Nord et l'Est), entre 7,4 et 7,2 Ma (à l'Ouest), et à moins de 7,2 Ma (vers le Sud et vers le SW).

L’absence de dépôts de coulées de débris surmontant les dépôts d'avalanches de débris dans le secteur compris entre les vallées de la Bertrande et de la Cère nous paraît indiquer qu’aucun épisode de reconstruction d’un grand édifice volcanique n’a eu lieu après cette déstabilisation majeure . En effet, presque tous les autres dépôts d’avalanches de débris sont surmontés par d’épais complexes lahariques témoignant d’épisodes de reconstruction de l’édifice volcanique.

Dans l'hypothèse où plusieurs avalanches de débris auraient affecté le flanc ouest du Cantal compris entre la vallée du Marilhou au Nord et la vallée de la Bertrande au Sud, ceci impliquerait la présence locale de recouvrements et d’emboîtements, marqués par des paléosols, des coulées laviques, des dépôts de nuées ardentes ou de lahars. Or, bien que de telles interfaces aient été activement recherchées (Schneider et Fisher, 1998; Reubi et Hernandez, 2000), aucune discontinuité de ce type n'a, pour l'instant, pu être mise en évidence avec certitude.

Enfin, sans pouvoir exclure complètement l'existence de successions très rapprochées de déstabilisations, comme cela a été observé sur certains édifices volcaniques (Augustine en Alaska : Beget et Kienle, 1992), l'absence de discontinuités au sein des dépôts indique plutôt de grands événements de déstabilisations qui auraient affecté des flancs entiers du Cantal. Cependant, certaines avalanches sont clairement canalisées dans des vallées en zone proximale et pourraient correspondre à de "petits" événements. Il en est ainsi de celle de la Haute-Cère, mise en place entre 7,2 et 6,8 Ma, et qui est enchâssée entre les massifs de l'Elancèze et du Plomb du Cantal dont les assises datent de 10 à 8 Ma.

Quelles paléo-altitudes atteignait le Cantal ?

Le Cantal a actuellement la forme d'un stratocône surbaissé qui culmine à 1855 m au Plomb du Cantal. L'observation de coulées et de brèches avec des pentes très fortes, ainsi que la mise en évidence d'importants volumes de formations remaniées autour de l'édifice volcanique, ont conduit dès la fin du 19 ème siècle à des modèles de paléo-volcans bien plus élevés. Le pouvoir érosif des glaces et de l'eau était tenu pour responsable de l'aspect surbaissé et surcreusé de ce grand strato-volcan. Jusqu'à la fin des années 1980 ce modèle a eu ses partisans et ses détracteurs et les représentations imagées du Cantal originel montraient des profils plus ou moins élevés et raides.

La mise en évidence de l'importance volumétrique des dépôts d'avalanches de débris permet aujourd'hui de conforter ce modèle de « grand » strato-volcan (tout en minimisant le rôle de l'érosion), mais acquis avant la phase basaltique supracantalienne, qui a scellé les formes issues de son démantèlement.

Ui et al. (1986), dans une synthèse consacrée à 283 volcans japonais, ont identifié 71 avalanches de débris sur 52 volcans, dont 41 sont des strato-volcans. Les distances maximales parcourues par ces avalanches de débris vont de 1,6 à 32 km et les hauteurs d'effondrement de 0,2 à 2,4 km. Le rapport hauteur de chute sur distance d’écoulement est compris entre 0,2 et 0,07. Ceci signifie que la distance maximale parcourue par l’avalanche de débris est 5 à 17 fois plus importante que la hauteur de chute. Le rapport H/L décroît faiblement avec le volume de l'avalanche.

La prise en compte de cette corrélation entre hauteurs de chute et distances parcourues par les avalanches de débris permet d'estimer les paléo-altitudes du Cantal trachyandésitique. Ainsi, pour les dépôts d'avalanches trouvés à 35 km du cœur de l'édifice volcanique, la hauteur de chute ne pouvait être inférieure à 2400 m ; la prise en compte de l'altitude des dépôts distaux d'avalanches de débris conduit donc à une altitude absolue initiale de l'édifice qui ne saurait être inférieure à 3000 m. Bien sûr, la prise en compte du rapport H/L moyen voisin de 0,1 conduit à des paléo-altitudes absolues supérieures à 4000 m.

La pente générale des planèzes excède rarement 5% dans les régions centrales et diminue jusqu'à moins de 1% dans les zones périphériques. Leur géométrie générale indique que l'altitude de l'édifice volcanique n'était alors guère différente de l'altitude actuelle. La forme d'ensemble actuelle du massif était donc acquise avant l'effusion de cette chape basaltique et doit peu à l'érosion ultérieure : ce sont les grandes phases de déstabilisations sectorielles qui sont la cause essentielle de la morphologie surbaissée de ce strato-volcan.

Pourquoi tant de dépôts d'avalanches de débris dans le Cantal ?

Les déstabilisations gravitaires à l'origine des dépôts d'avalanches de débris du Cantal peuvent avoir été induites directement ou facilitées par plusieurs facteurs ayant agi ou non de façon concomitante : mise à disposition en un temps court d'une grande quantité de matériel, basculement de l'ensemble du bâti du substratum, fragilisation de l'édifice volcanique par les intrusions phonolitiques et par altération hydrothermale, glissement sur une couche savon constituée de sédiments marno-carbonatés.

Conclusions

Au terme d'un siècle de travaux géologiques et de débats quelquefois animés, qui ont conduit à accumuler une somme impressionnante de données, ce travail de synthèse et de réévaluation des données permet d'avoir une vision plus claire de la formation du strato-volcan du Cantal.

La cartographie des dépôts volcaniques montre que lors de la période d'activité principale, les matériaux laviques et volcanoclastiques primaires se sont accumulés à proximité des points de sortie. Les matériaux meubles ont été re-sédimentés par les processus fluviatiles et lahariques et ont construit le piémont volcanoclastique en périphérie de l'édifice. Cependant, ce remaniement n'était pas très efficace et les flancs de l'édifice volcanique ont subi plusieurs déstabilisations gravitaires de grande ampleur contribuant à étaler un peu plus les matériaux volcaniques. Par conséquent, alors que la zone centrale du Cantal ne montre qu'un empilement de laves et de brèches pyroclastiques, les zones intermédiaires voient une augmentation de la quantité de dépôts de lahars et d'avalanches de débris. Ces derniers deviennent prépondérants dans les régions distales (figure 10). Ce mode de formation conduit à réinterpréter les stratigraphies antérieurement établies et à reconsidérer leur implication volcanologique.

Figure 10 - Modèle conceptuel explicitant la formation du stratovolcan du Cantal avec un appareil volcanique central alimentant un important piémont volcanoclastique. La déstabilisation gravitaire de cet édifice alimente un important dépôt d'avalanche de débris. La succession de tels épisodes de reconstructions et de destructions est à l'origine du stratovolcan du Cantal. Les importantes formations basaltiques infra et supracantaliennes n'ont pas été représentées. Modifié d'après un schéma de Jamet (1999)

La prise en compte des avalanches de débris conduit à réinterpréter l'ensemble des formations bréchiques antérieurement définies et utilisées dans de nombreuses publications. Cela concerne en particulier la "brèche inférieure", le "volcano-sédimentaire" et le "complexe conglomératique". Sans entrer dans les détails des nombreuses nomenclatures et définitions utilisées par ailleurs, ces trois termes ont été renommés et réinterprétés comme suit. La "brèche inférieure" interprétée antérieurement comme un dépôt pyroclastique mis en place en plusieurs venues, et partiellement remanié, correspond pour l'essentiel aux dépôts des avalanches de débris. Le "volcano-sédimentaire" correspond pour l'essentiel à des matériaux d'origine volcanique remaniés puis déposés par des processus éoliens, lacustres ou fluviatiles. Le "complexe conglomératique" est interprété comme un empilement de dépôts de lahars.

Par ailleurs ces travaux conduisent à remettre en question l'existence d'une"caldera d'effondrement", d'une "fosse volcano-tectonique" et d'une "grande nappe de ponces" antérieurement définies et à réinterpréter les découpages stratigraphiques antérieurs et leurs implications volcanologiques (Nehlig et al., 2001).

Pour en savoir plus :

Brousse R. et Lefevre C., 1990. Le volcanisme en France et en Europe limitrophe. Masson éd., 263 p.

Goër de Herve A. (de), 1995. Volcanisme et volcans d'Auvergne. La dépêche scientifique du Parc des Volcans d'Auvergne N°8/9, 43p..

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Liens : http://www.brgm.fr/volcan

Cet extrait provient d’un article publié dans la Revue Géologues, Numéro 130/131, décembre 2001 Spécial Massif Central, pages 66 à 91 et intitulé « Les volcans du Massif Central ». Géologues est la revue officielle de l’Union Française des Géologues. La publication de cet extrait a été autorisée par la direction de la Revue Géologues. Le fascicule 130/131 peut être commandé au siège social de l’Association : 77 Rue Claude Bernard 75005 Paris.

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