geo.cybercantal.net sommaire Une exposition de manuscrits enluminés dans le Cantal Avril, François. L’enluminure à l’époque gothique : 1200-1420
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L’enluminure à l’époque gothique : 1200-1420. Bibliothèque de l’image, Paris, 144 p.

« On fait traditionnellement remonter les débuts du style gothique dans la peinture de manuscrit aux environs de 1200, c'est-à-dire à une époque nettement postérieure à l'apparition de ce style dans l'architecture et dans la sculpture. Ce n'est qu'à ce moment, en effet, qu'on peut déceler dans l'enluminure un détachement progressif de l'idéalisme expressif de l'époque romane au profit d'un art faisant une plus large part aux valeurs proprement humaines et à l'expression de sentiments. Cette évolution se traduit, sur le plan du dessin, par un assouplissement de la ligne, qui contraste avec le formalisme plastique des artistes romans.

De profondes transformations spirituelles, politiques, sociales et économiques sont à l'origine de cette métamorphose : l'essor au nord de l'Europe de deux puissantes monarchies, celles de France et d'Angleterre, l'apparition d'une culture laïque liée à l'existence des cours et au développement sans précédent de la civilisation urbaine, et enfin le renouvellement complet du système de production du livre. Cette évolution n'est plus désormais l'apanage exclusif des cloîtres et des écoles capitulaires, mais tend de plus en plus à s'organiser autour de ces nouveaux centres d'enseignement favorisés par la papauté et le pouvoir laïc, que constituent les universités. Le nouveau système de production du livre, dont le pivot est le "libraire" (on dirait aujourd'hui l'éditeur), est basé sur une parcellisation des tâches autrefois intégrées dans les scriptoria monastiques : copistes, enlumineurs, parcheminiers, relieurs sont désormais des spécialistes travaillant à la demande et groupés, comme d'autres professions de l'époque, dans certains quartiers de la cité.

Nulle part on ne suit mieux la mise en place de cette nouvelle organisation des métiers du livre qu'à Paris. Capitale politique et intellectuelle, celle-ci fait également figure, à partir du XIIIe siècle, de capitale européenne dans le domaine de l'édition. Grâce à un appareil de production fortement structuré et aux capacités énormes, la librairie parisienne a contribué de façon décisive à renouveler les modes de fabrication du livre.

Cette transformation de la production du livre ne se fit pas partout du même pas et simultanément. Comme dans tout phénomène d'évolution, on constate ça et là des résistances et des retards. La laïcisation de la condition d'enlumineur, qui en fut la conséquence, n'en marqua pas moins un évènement de portée générale dont le processus apparaît rétrospectivement comme inéluctable.

Bien que soumise au contrôle de l'Université, comme le reste des métiers du livre, l'activité des enlumineurs ne se limita jamais, à Paris, à la clientèle des enseignants et des étudiants. Les enlumineurs eurent également à satisfaire les besoins de la cour et de la bourgeoisie en livres de piété et en textes profanes. A l'intention de ces deux catégories sociales se développa une production luxueuse et raffinée pour laquelle il était fait appel aux meilleurs artistes. Cette production de cour donne le ton et est rapidement diffusée par le relais d'artistes plus modestes qui se contentent de l'imiter ».