geo.cybercantal.net sommaire Analyses bibliographiques GEORGES DUBOUCHET
version imprimable

GEORGES DUBOUCHET, 2007
Le Musée des Campagnes.

Un livre de 760 pages consacrées aux thèmes suivants :

1- Les « indigènes » des campagnes
2- Mon folklore éternel
3- Le chant du coq
4- Le Maréchal « couronné »
5- L’housteau des jours heureux
6- Vaisselle de bois et tables « à bols »
7- Des meubles à valeur ajoutée
8- Des chaises en majesté
9- Des trésors de coffrets
10- Denteleuses et dentelles de bois
11- De lilliputiens métiers à tisser
12- De « pindoles » en « carrières »
13- A pleines quenouillées
14- Des mottes belles comme des tableaux
15- Des cannes et des bâtons
16- Dans les hautes –chaumes du Forez
17- Au pays des burons perdus
18- Des loups et des « bêtes médisantes »
19- « Masques » de la sorcellerie, mystères des pierres-fées
20- A la mode des couvre-chefs de chez nous
21- Jeux de mains, jeux de vilains
22- La mythologie de la veillée comprenant deux sous-chapitres : Si les contes m’étaient veillés. Des fariboles et des « rossignolets ».

Ces nombreuses « entrées » ne constituent qu'un premier tome d’un ouvrage qui comportera 50 entrées ou chapitres effectivement traités. Au premier coup d’œil on ne peut que se féliciter de cette œuvre : Vingt-deux chapitres dont les titres sont donnés ici, format impressionnant : 23 x 31 cm, illustrations merveilleuses, texte utilisant une police de petite taille mais cependant lisible ; bref tout est fait pour fournir une quantité importante d’informations. Cet ouvrage est en préparation depuis longtemps si on en croit la section remerciements et le mérite n’est pas mince d’avoir abouti. Ce musée sur papier représente la continuation du musée de Saint-Didier-en-Velay que l’auteur qualifie de musée monoparental.

L’auteur a placé son travail dans la lignée de deux œuvres qu’il tient au sommet de la littérature française : la Bibliographie Méthodique d’Arnold van Gennep et le Gaspard des Montagnes d’Henri Pourrat. Après une immersion complète dans l’histoire des sociétés rurales au prix de 2 millions de kilomètres parcourus dans les campagnes du Massif Central, le fondateur du musée des Sociétés rurales de Saint-Didier-en-Velay entreprend selon ses propres termes une « réhabilitation du Folklore qui doit trouver une place originale avec et contre l’ethnologie régionale, avec et contre la culture ».

L’auteur ne se cache pas pour exprimer une certaine amertume, et le mot est faible, vis-à-vis de toutes les autorités régionales. Un éditeur local reçoit aussi les foudres de Mr Dubouchet. Bref, notre auteur a quelques ennemis. Ce caractère rebelle n’est pas pour nous déplaire. Il faut voir cependant le fond et la forme. Compte tenu que l’auteur sollicite précisions, rectifications et objections de la part de son lectorat, nous n’hésitons pas à formuler nos remarques.

Ce livre se propose de « défolkloriser » le folklore, c'est-à-dire de le mettre en fête en mêlant les genres mais…… sans perdre de vue son point d'ancrage. Cette formule n’est pas très claire. L’approche folklorique (chapitre « Au pays des Burons perdus » p383), est cependant précisée p 385. L’auteur indique ainsi, en abrégeant volontairement ses trop longues phrases : notre approche folklorique se propose de rendre compte des sociétés rurales considérées avant leur définitive submersion. Notre parti pris est de faire feu de tout bois en considérant à la fois comme objets folkloriques ce que l’on connaît de la vie d’autrefois et ce que les anciens écrivains en ont dit. Quelle différence alors avec la « patrimonialisation » : processus par lequel un collectif humain cherche à conserver en l’état le passé, ou à le ressaisir afin de le mettre en collection, autrement dit en évidence. (Cf André Micoud : Des patrimoines aux territoires durables, Ethnologie et Ecologie dans les campagnes françaises. In : Ethnologie française : 13-22).

   


A gauche : presse à Saint-Nectaire. Lieu de collecte : Condat (Cantal).
A droite : selle à traire monopode. Lieu de collecte : Murat (Cantal).


Par ailleurs, à travers les nombreuses « entrées » d'un ouvrage qui ne constitue lui-même qu'un premier tome avec 22 thématiques sur 50 effectivement traitées, l’auteur a voulu associer un maximum de partenaires et les auteurs mobilisés sont très nombreux. Et il avoue l'absence de renvois à des publications dans un chapitre de bibliographie. Tout livre peut être utilisé par son texte mais aussi par ses sources. Ici l’absence de bibliographie est un manque certain qui probablement sera rectifié en fin du tome 2. Ainsi dans le chapitre Loup, où es-tu ? deux auteurs sont cités. Antoine Trin, Les loups dans la légende et dans l'histoire (1980), a recherché la place du loup dans l'onomastique. A l’occasion de cette citation, Mr Dubouchet entreprend bien des pérégrinations en évoquant une géographie littéraire du terroir qui investit une myriade de lieux-dits : Château des Loups d'Henri Pourrat, Chapelle au loup de Marcel Hennart, Pavillon du Loup de Michel Davet, Puy aux loups de Gilles Boiron. H. Germouty relève les nombreux lieux -« Pasdeloup », « Saut-du-Loup », « Cor de Loup » auxquels était toujours attaché un bout de légende. « On peut ajouter à la liste les villages comme Loubeyrat (Puy-de-Dôme) ou La Louvesc (Ardèche) qui, parmi bien d'autres cités, ne peuvent renier l'origine louvière de leur appellation. » Qui est donc cet Antoine Trin, où a-t-il publié ? Est-il de Menet ? Est-ce une œuvre posthume ? Une bibliographie permettrait de répondre. De même j’aimerais en savoir plus sur ce Germouty. A partir du témoignage de l’Abbé Granet, curé d’Arfeuilles, j’aimerais savoir où se situe ce village ? Bref à ce stade de la publication, il y a une sérieuse lacune qui peut encore être comblée dans le second volume à paraître. Nous reviendrons probablement sur ce thème du loup après lecture du dernier ouvrage (2007) de J-M. Moriceau, chez Fayard (630 p): « Histoire du grand méchant loup : 3000 attaques sur l’homme en France, XV°-XX° siècle ». Pour ce qui concerne A. Trin, la question est réglée : cet auteur est en réalité bien connu dans la vallée de la Sumène et le signataire de ces lignes disposait de sa bibliographie : cf Revue de la Haute Auvergne, tome 64, avril-juin 2002 : 243-247.

Certes les titres des ouvrages cités ont été incorporés au texte et les dates données; mais ce n’est pas suffisant pour constituer une référence bibliographique utilisable. En plus, le fait d’imiter Ulysse Rouchon (cf p. 26, seconde colonne) n’est pas une justification. De même, la citation (p. 24) de Daniel Boucard Dictionnaire des outils (2006) nous aide en rien sur l’importance du livre (nombre de pages) et surtout l’éditeur et le lieu de publication. Il en est de même du livre d’Albert Boissier : Histoire de l’origine de l’industrie du clou forgé à Firminy (1941). Je serais curieux de savoir si cet ouvrage met en évidence une morphologie du clou en fonction de l’époque de fabrication. Curiosité aussi pour au moins une planche de la Maison Rustique du XIX° siècle qui présente, parait-il, des outils « à laisser pantois plus d’un paysan du XX° siècle ».



Bât de mulet pour le transport du lait. Lieu de collecte : Brezons.


Pour ce qui est de la forme, quelques remarques méritent d’être développées. 1- Les rapports entre texte et illustrations ne sont pas évidents. Ainsi le commentaire sur Saint-Eloy, protecteur du maréchal-ferrant se trouve p 117, mais les illustrations correspondantes apparaissent à la page 137 et encore à la page 141, 143, 144. 2- Les longueurs de phrases avec parenthèses et incidentes entre tirés, sont vraiment trop nombreuses. Par exemple p13, p 26, p 47, p 523… Lire, pour l’exemple, p 741, les 4 premières lignes de la section « Si les contes m’étaient veillés ». La place réduite accordée aux contes indique, à notre avis, entre l’objet matériel et la littérature orale populaire, une nécessaire dichotomie de méthode qui n’a pas été développée. 3- L’auteur se permet des néologismes non toujours justifiés ; citons en quelques uns: « l'origine louvière », « denteleuses », activités « investiguées », « outilllologue » (p 32 : vraiment un total de 4 L est-il nécessaire?), enfin « la course à l’échalotte de la délibilité » doit être corrigée (p 315)… Des maladresses sont aussi présentes: voir par exemple le « Je me propose de proposer » p.27; même en « yéyétisant » ce n’est pas élégant. 4- Dans certains cas, l’histoire n’est pas clairement séparée de l’ethnologie. Ainsi nous avons droit à plusieurs pages de texte se rapportant à l’histoire du fromage d’auvergne; une grande partie de cette histoire est hors sujet.

En conclusion, ce livre fait parler et rien que pour cela il est intéressant. Il provoque la discussion. Nous relèverons l’originalité dans la méthode qui consiste en deux opérations : d’une part effectuer le passage d’un musée d’objets à un musée sur papier ; d’autre part, lier l’iconographie (l’objet) et la littérature. La question de l’efficacité de cette double opération est posée. Certes la transformation sur support papier imposée par le projet est d’une utilité incontestable; elle permet l’agrandissement de l’aire de publicité. Pour ce qui est de l’introduction de la littérature à côté de l’iconographie, je ne suis pas convaincu. Un déséquilibre peut subsister. Ainsi dans la section « prêtres et sorcier » (p 501 et suivantes) le nombre limité des objets est sans rapport avec la longueur du texte correspondant. D’un autre côté, le texte a son utilité ; ainsi, une fois le livre ouvert,  une attente est virtuelle: c’est l’utilisation de l’outil par l’homme : son adresse, son savoir faire. Et l’illustration du seul outil ne permet pas de répondre à cette attente ; et c’est précisément le texte, les emprunts littéraires qui permettent de se rendre compte des gestes éternels auxquels renvoient les outils.

De plus il faut apprécier les pages en bistre, ainsi qu’une police de plus petite taille, qui traitent d’un sujet déterminé (pages 54-55 sur les bêches à lame et « âme » de bois ; pages 82-83 sur les charrues ; pages 36-37 avec discussion sur la réalisation des haies ; … puis pages 312-314 sur le travail du chanvre ; pages 738-739 sur les pierres et plaques foyères). Ces différentes monographies, courtes et bien menées, sont agréables à lire. Malgré les défauts de rédaction, l’information est dense. Le lecteur cependant ne peut faire sa propre recherche par manque de références complètes, c’est pourquoi le second volume est attendu avec beaucoup d’impatience.