geo.cybercantal.net sommaire L'Association AUVERGNE LIVRES RARES 2 - Alfred Durand
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PRESENTATION du livre de A.DURAND



Voici le livre de référence sur la vie paysanne dans les montagnes d'Auvergne. Il est dû à un professeur qu'on aurait cru bien éloigné du quotidien de la terre. Mais si Alfred Durand était un universitaire capable de réunir et de mettre en forme publications et documents d'archives, il était aussi homme de convivialité, originaire d'un bourg isolé au milieu des prairies. Entre la ville où il exerçait et le village du Nord Cantal où il s'était marié, il passait la plus grande partie de ses loisirs à faire parler ses nombreux amis ruraux de leur vie, de leur famille, de leur passé et de leur activité présente.

Son ouvrage, publié en 1946, présente donc trois aspects complémentaires qui en font tout l'intérêt :

- c'est une étude de géographe qui fait autorité par l'étendue de ses sources et son sens parfois méticuleux du détail (je vous recommande entre autres son chapitre sur la flore de nos montagnes et la nomenclature de ses multiples herbes et fleurs) ;

- c'est aussi un reportage humain sur la vie dans les fermes, régime alimentaire et équilibre économique, où l'on peut déceler le goût de l'auteur pour ces veillées où les montagnards chantaient, dansaient et contaient la tradition ;

- c'est enfin un rapport d'étape bien placé au tout début de la grande mutation technique, mécanique et culturelle qui a conduit les auvergnats de la montagne de l'exploitation diversifiée et auto-suffisante à la mono-production quasi industrielle de lait actuelle.

Une somme que tout amoureux de l'Auvergne lira comme le roman d'un temps pas si lointain, illustré de nombreux documents (cartes, dessins et photos de l'auteur). On notera pour sourire qu'Alfred Durand, après avoir listé 381 sources bibliographiques et cité nommément près de 50 personnes qui l'ont aidé dans plus de 200 communes, s'excuse dans sa préface d'avoir été limité par les événements (2ème guerre mondiale) dans sa recherche de renseignements.

P.Armand.




Le second livre sélectionné pour une nouvelle édition est celui d’Alfred Durand : »La vie rurale dans les massifs volcaniques des Dores, du Cézallier, du Cantal et de l’Aubrac », paru pour la première fois en 1946 (Imprimerie Moderne, Aurillac).

Pour commenter cet ouvrage de 530 pages, Eric Bordessoule, géographe et Maître de Conférence à Clermont a bien voulu écrire une actualité d'Alfred Durand.

La Vie Rurale vue par un professionnel...

Le rédacteur de ce site a souhaité aussi établir une comparaison avec la vie rurale d'aujourd'hui; c'est en amateur qu'il a établi une comparaison rapide entre le livre de A. Durand et une parution récente: Le Village métamorphosé: Révolution dans la France profonde (Terre Humaine, Plon) par P. Dibie.

... La Vie Rurale vue par un amateur.







Légende des photographies :

1: Présentation du livre d'Alfred Durand le jeudi 22 juin à la médiathèque de Riom-ès-Montagnes. La directrice des Editions Créer était présente ainsi que les membres de l'Association.

2: Photographie d'Alfred Durand prise au cours d'un mariage célébré en 1958.

3: Méthode utilisée par A. Durand et toujours employée, pour figurer la distribution des habitations dans une commune. Observer la différence entre le graphique de Salers et celui des autres communes de l'ouest cantalien.

4: « La vie rurale » n'est pas seulement une photographie des années quarante; elle prend aussi en compte des données antérieures permettant de dresser un tableau de l'évolution de la vie rurale. Ici les outils et ustensils servant « autrefois » à la fabrication du Cantal et du Laguiole.

LES BONNES FEUILLES

INTRODUCTION (p.XI)

Par une claire journée d'été, gravissez l'un des sommets de la Margeride Cantalienne qui étale ses croupes aplanies au N.E. de Ruines. Après avoir peiné dans les hautes bruyères, vous découvrirez l'un des plus vastes et des plus beaux panoramas de la France Cen­trale. La vue s'étend largement vers le couchant où les Monts d'Au­vergne et de l'Aubrac se découpent sur le ciel.

Au Nord, à l'horizon, ce sont les cimes déchiquetées des Monts Dores, au centre desquelles culmine la pyramide du Sancy (1.886 m.); plus près, les lourds plateaux du Cézallier. A l'Ouest, formant une barrière de plus de 50 kms de longueur, s'alignent les sommets du puissant Massif cantalien : Peyre-Arse, Puy Griou, Plomb du Can­tal. Vers le Sud-Ouest, la ligne d'horizon s'abaisse doucement, sans que l'œil puisse déceler la profonde coupure de la Truyère, pour se relever ensuite : deux petites éminences jumelles, tels apparaissent le Puy de Gudette et les Truques d'Aubrac ; un peu plus à gauche, se détachant à peine au-dessus des plateaux, c'est le Mailhebiau (1.471 m.), point culminant de l'Aubrac. Au Sud, le regard se perd enfin vers des lointains bleutés où rien ne s'individualise.

Monts Dores, Cézallier, Cantal et Aubrac se dressent au cœur du Plateau Central qu'ils dominent de toutes parts et où ils forment une région nettement individualisée : leur sol volcanique est entouré de tous côtés par les terrains anciens qui constituent leur socle ; leur relief, « tout en bosses » ou tout en plateaux se différencie de celui des zones voisines, « tout en creux » ; leur grande altitude leur vaut un climat rude, et une carapace de neige les recouvre encore alors qu'autour d'eux s'éveille déjà le printemps... Les eaux qui ruissel­lent sur leurs flancs s'élancent en rayonnant vers tous les points de l'horizon : ils constituent en effet l'un des principaux nœuds hydro­graphiques de ce grand château d'eau qu'est le Massif Central.

Terroir bien individualisé : le vulgaire ne s'y trompe pas. Pour le cultivateur des riches terres noires de la Limagne comme pour le berger qui surveille ses brebis sur le triste Causse de Rouergue, pour le paysan qui peine sur les maigres croupes du Limousin oriental ou de la Châtaigneraie cantalienne comme pour le vigneron qui porte la hotte sur les âpres versants du Fel (dans les gorges du Lot), les Dores, le Cézallier, le Cantal et l'Aubrac, c'est la montagne, la montagne par excellence. Et ce mot évoque sans doute pour eux un pays rude au ciel bourru, mais aussi un pays où l’homme tire du sol et sans trop de fatigue, une aisance solide et des profits réguliers.

C'est qu'en effet cette montagne est un riche terroir : partout, durant la bonne saison, le sol est couvert d'un épais tapis d'herbage ; prairies de fauche et pâturages s'étendent à perte de vue, laissant au voyageur une impression de fraîcheur et d'abondance. Le Cantalien Lintilhac avait qualifié tous ces pays volcaniques d'un mot qu' Henri Pourrat et Jean l'Olagne devaient reprendre : « l'Ile Verte ». Et c'est bien véritablement une île verte, que vient battre de tous côtés la houle grise des landes du Plateau de Millevaches ou d'Ussel, de la Xaintrie, de la Châtaigneraie, du Ségala, de la Margeride et de 1' « Aile de la Limagne ».

Pays voués à l'herbe, les Massifs pratiquent depuis un temps immémorial, l'élevage des bovins sur lequel l'économie tout entière est fondée ; son ancienneté donne à la vie humaine des traits qu'un isolement relatif mais prolongé a conservés intacts jusqu'à nos jours. Ainsi, les montagnes volcaniques des Dores, du Cézallier, du Can­tal et de l'Aubrac forment une unité géographique bien définie. C'est elle qui sera l'objet de la présente étude. La chaîne des Puys en sera exclue, quoique volcanique également : par son origine plus récente, par son altitude d'ensemble plus faible, par son relief moins puissant et moins massif, par son sol moins profond et moins fertile, par son économie plus agricole enfin, elle forme une zone à part. On ne saurait, par contre, séparer des Monts d'Auvergne le bassin marneux et calcaire d'Aurillac : il s'apparente à la montagne à la fois par les rapports qu'il entretient avec elle et par des traits essen­tiels du mode d'exploitation. Les raisons du même ordre feront englober dans cette étude les franges de terrains anciens qui partici­pent aussi à l'économie et à la vie des Monts d'Auvergne et de l'Aubrac.

Les pages qui vont suivre montreront comment, dans ce domaine, à la faveur du cadre naturel, un genre de vie essentiellement fondé sur l'élevage s'est implanté, et quelle a été l'évolution de ce genre de vie au cours des siècles, surtout depuis le XVI° siècle : les docu­ments manquent en effet pour les époques antérieures ou sont d'accès trop difficile.

Au total, la zone considérée a une surface d'environ 7.000 km2 (1) (Carte hors-texte). Peu de régions en France, nous disait M. Boule, ont une homogénéité aussi complète à tous égards. C'est ce qu'on essaiera de montrer en dégageant d'abord les grands traits du relief : là est en effet l'explication fondamentale de la solide unité qui embrasse quatre puissants massifs s'échelonnant, du Nord au Sud sur plus de 125 kilomètres.

(1) Cette zone est sensiblement délimitée par les communes suivantes qui y sont inclu­ses : Rochefort-Montagne, Saint-Bonnet-près-Orcival, Aurières, Saulzet-le-Froid, Le Vernet-Sainte-Marguerite, Saint-Nectaire, Murols, Saint-Victor, Besse, Sainte-Marguerite, Valbeleix, la Meyrand, Mazoires, Anzat-le-Luguet, Vèze, Chanet, Sainte-Anastasie, Neussargues, Joursac, Talizat, Andelat, Saint-Flour, Villedieu, Sériers, Neuvéglise, Oradour, Cantoin, Vitrac-en-Viadène, Lacalm, la Trinitat, Saint-Urcize, Recoules-d'Aubrac, Malbouzon, Marchastel, Salces, les Hermaux, Trélans, Aurelle-Verlac, Pradel-d'Aubrac, Saint-Chély-d'Aubrac, Condom. Curières, Laguiole, Huparlac, Cossuéjouls, la Terrisse, Sainte-Geneviève, Brommat, Lacroix-Barrez, Taussac, Cros-de-Ronesqne, Carlat, Vézac, Arpajon, Sansac-de-Marmiesse, Ytrac, Saint-Paul-des-Landes, Crandelles, Ayrens, Freix-Anglards, Saint-Cernin, Saint-Cirgues-de-Malbert, Saint-Martin-Cantalès, Pleaux, Barriac, Chaussenac, Salins, Mauriac, Miallet, Sauvat, Ydes, Saignes, Antignac, Saint-Etienne-de-Riom, Saint-Amandin, Montboudif, Saint-Genès-Champespe, Saint-Donat, Bagnols, Tauves, Saint-Sauves, Laquenille, Perpezat.

LES AMELIORATIONS A APPORTER AU DOMAINE PASTORAL (p.82).

L'étude de la végétation herbacée, la valeur pastorale de ses diver­ses associations a indubitablement montré que les Massifs sont de riches terroirs herbagers. Cependant ils seraient susceptibles de gran­des améliorations. Sans doute de notables progrès ont-ils déjà été réalisés ; il reste encore beaucoup à faire.

PRAIRIES NATURELLES. — Fréquemment les prairies de fauche, dans les fonds des vallées surtout, sont trop humides ; il convien­drait de drainer : les rigoles peu profondes que le paysan trace sont insuffisantes à faire écouler l'eau en excès. Les animaux qui pacagent ces sols au printemps et en automne les défoncent, les creusent de trous où l'eau s'amasse, et le sol dénivelé se .prête mal au fauchage. Ce qu'écrivait l'abbé de Pradt au début du XIXe siècle demeure tou­jours vrai : « Les eaux, privées de cours, deviennent trop souvent des causes de stérilité dans les mêmes lieux où elles devraient porter l'abondance » (55).

Sur les versants, sur les plateaux, nombreuses sont les prairies sèches ; bien entretenues dans le Cantal où l'on n'hésite pas à faire de gros frais pour amener de l'eau, elles ont par contre souvent besoin d'être arrosées dans les Dores et le Nord du Cézallier ; cer­taines cependant, dans les vallées de La Bourboule et de Rochefort bénéficient d'une bonne irrigation. Un tel aménagement devrait être généralisé, car le rendement en fourrage serait largement augmenté ; d'ailleurs les frais d'adduction d'eau sont vite récupérés. Ainsi, un cultivateur de Jou-sous-Monjou (Cantal) creusa une galerie de 1,300 mètres de long pour capter une source et fit construire un canal de 120 m. pour arroser une prairie de 4 ha 80 ; le coût des travaux s'éleva, avant 1914, à 5.495 francs ; mais au lieu de récolter 162 quintaux de foin estimés à 648 francs, il obtint 260 quintaux de foin valant 1.040 francs (56). Mais il ne suffit pas de faire des « rases » ; il faudrait encore que leur tracé fût moins empirique.

On a vu que les sols des prairies sont en général nettement acides; sans doute, dans la région d'Aurillac essaie-t-on de corriger l'acidité par l'apport de marnes ; mais le marnage est surtout réservé à la lande ou aux terres livrées à la culture des céréales. Il conviendrait de chauler abondamment ; ainsi la nitrification pourrait-elle s'opérer dans de bonnes conditions ; les plantes amies de l'humidité disparaî­traient (renoncules, joncs, carex, myosotis, colchiques, porcelles, etc...) et céderaient là place aux bonnes graminées et surtout aux légumineuses ; la proportion de ces dernières atteindrait aisément 18 à 20 % au lieu de 10 à 12 %. Les scories de déphosphoration, à raison de 800 à 1000 kilos à l'ha, donneraient des résultats analo­gues lorsque la teneur du sol en acide phosphorique est insuffisante.

Sur les versants exposés au Nord ou à l'Ouest, la mousse forme parfois un tapis si dense que les bonnes plantes fourragères ne peu­vent croître ; on voit, sans doute, quelques propriétaires qui utili­sent l'émousseuse ; ils sont rares, comme ceux qui emploient le sul­fate de fer en neige à raison de 250 à 300 kilos à l'hectare. De même on ne sait pas en général que les hersages énergiques alliés à l'épandage du sulfate empêchent ces cryptogames de se développer. Enfin le sol trop tassé manque d'aération ; le passage de la herse serait sou­vent indispensable surtout dans les prairies anciennes ; il est souhai­table que la pratique du régénérateur, encore exceptionnelle, soit déve­loppée.

Comme engrais, on emploie presque uniquement le fumier de fer­me, peu ou non pailleux. Quelques fermiers ajoutent des scories (600 kilos par ha tous les 4 ou 5 ans) et plus rarement un peu de sylvinite ; à cet égard, c'est dans le bassin d'Aurillac et la vallée de la Gère que les innovations ont été réalisées. Parfois on recueille bien le purin dans une « serve » à la tête de la prairie la plus voisine de l'étable ; on le distribue ensuite à l'aide de rigoles : cette pratique excellente peut, dans les sols acides, augmenter l'acidité si elle n'est associée à un apport de calcaire ; elle a le défaut d'être toujours réservée aux mêmes prairies ; l'usage du tonneau d'épandage permet­trait d'obvier à cet inconvénient.

Il est rare de voir régénérer une prairie par un labour suivi d'un ensemencement fait avec des graines fourragères sélectionnées. Le plus souvent, après une récolte de céréales, on laisse l'herbe envahir à nou­veau le sol, ce qui est rapide : quelquefois, cependant, on mélange aux poussières du fenil quelques semences de trèfle que l'on enfouit sommairement. Mieux vaudrait recréer la prairie en essayant die faire dominer l'avoine élevée dans les parties basses et, partout, le pâturin des prés, la fétuque et le dactyle, alliés au trèfle des prés, au trèfle blanc et au lotier.

La prairie temporaire enfin, qui semble avoir été en grand hon­neur autrefois un peu partout dans les Massifs, a perdu de sa faveur et elle est devenue rare. Dans le Cantal, suivant M. Aufrère (57) elle couvre 1.345 ha seulement dans le bassin d'Aurillac et les environs de Mauriac. On sème surtout du lotier, du trèfle blanc, du ray-grass anglais et du dactyle ; on fauche pendant 4 ou 5 ans, puis on laboure à nouveau. Ainsi, dans nos montagnes où l'herbe pousse spontané­ment et en abondance, le paysan faisant fi des prairies temporaires et, plus encore, des prairies artificielles (58), accorde une nette pré­férence à la prairie naturelle. Aufrère [305, p. 43]. (58) Les prairies artificielles sont étudiées au chapitre : les Cultures.

PACAGES DE MONTAGNE. — Plus encore que les prairies de fau­che, les pacages de montagne pourraient être améliorés. L'irrigation qui y est à peu près nulle, malgré sources et ruisselets, augmenterait notablement le rendement ; celui-ci pourrait facilement passer de 18 quintaux à 21 ou 22 quintaux à l'ha, entre 1000 et 1.200 m ; de 12 à 15 quintaux au-dessus de 1.200 m. Par ailleurs, dans les régions où la lande à airelle et à callune a tendance à l'envahissement, la présence d'eau ne tarderait pas à régénérer les bonnes espèces. Quant au drainage il ferait disparaître de vastes surfaces couvertes actuellement de joncs, de carex, de linaigrettes ou de varaire. Une simple rigole suffirait dans la plupart des cas à assainir le sol, surtout celui des tourbières des pentes. Quant aux tourbières proprement dites qui alimentent certaines régions en combustible, il ne saurait être ques­tion de les transformer.

Dans de nombreuses « montagnes » on peut voir, à l'exposition Nord surtout, des pentes se couvrir peu à .peu d'une maigre végéta­tion arbustive de saules; il conviendrait de l'arracher, comme aussi d'enlever les blocs erratiques qui pullulent par endroits et qui servi­raient utilement à clore les pacages ou à les drainer. Quand la gen­tiane abonde, il faudrait procéder à l'arrachage ; ainsi ferait-on une excellente opération puisque les bêtes ne touchent guère à cette plante amère ; d'autre part, la racine, fort recherchée des pharmaciens et des fabricants de liqueurs, se vend très cher : les acheteurs se chargent d'ailleurs du travail qui est très pénible ; la récolte de la gentiane fournit un appoint qui est loin d'être négligeable pour les proprié­taires de pacages des plateaux de Salers, de Trizac, de Collandres et du Limon.

L'étaupinage donnerait aussi de bons résultats ; le berger, en surveillant son troupeau pourrait répandre la terre des taupinières, très nombreuses par places, qui ne tardent pas à se transformer en 1 petits monticules, se couvrant d'herbes grossières et dures ; de même, il pourrait couper les touffes de canche que le bétail ne mange pas et qui forment également de grosses mottes, rendant ainsi le sol inégal et malaisé.

Dans les régions où le manque de calcaire crée la lande à bruyère, l'emploi de la chaux, la ferait disparaître ; le chaulage combiné avec l'épandage de scories favoriserait surtout la nitrification dans des sols en général acides et abondamment pourvus d'humus. On transformerait de la sorte la pelouse en facilitant la venue de bonnes graminées et de légumineuses.

D'autre part, le parcage n'est pas toujours fait judicieusement : dans les Dores et le Nord du Cézallier, le parc demeure trop long­temps à la même place ; il faudrait le changer tous les jours, comme il est d'usage dans le Cantal. Surtout, il conviendrait de varier d'une année à l'autre, la surface habituellement parquée ; avec le système actuel c'est toujours la même partie de la montagne, la plus voisine du buron, qui est engraissée, parfois surabondamment alors que le reste manque de fumure. Autre pratique enfin à généraliser, celle des agriculteurs qui jettent des scories sur les pacages parqués ; deux ans après cette opération, l'herbe pousse avec une vigueur extra­ordinaire et elle est d'une qualité et d'une finesse remarquables.

Rappelons d'ailleurs que la fumure exagérée ne donne pas de bons fourrages; il se crée ainsi un groupement d'espèces végétales nitrophiles où dominent : Rumex alpinus et Carduus nutans, Lamium album, Capsella bursa-pastoris, Urtica dioïca, Chenopodium Bonus-Henricus, Rumex acetosella, Galeopsis tetrahit ; ces mauvaises plantes sont associées à Poa pratensis, P. annua, P. trivialis, Phleum pratense, Dactylus glomerata, Trifolium repens, qui prendraient rapidement le dessus si on écoutait le conseil donné par Braun-Blanquet sur ce point : clore la surface où s'emmagasinent des quantités trop grandes d'azote ammoniacal et faucher plusieurs fois avant l'épanouissement des chardons penchés et des rumex ; la végétation se transformerait d'elle-même en prairie fauchable qu'on pourrait livrer à nouveau au pacage au bout de deux ou trois ans (59). L'écobuage dans les pacages est assez rarement pratiqué ; cependant, il a été très en honneur dans le canton de Besse où il a presque tota­lement disparu ; on « purgeait » les landes de bruyères en y mettant le feu ; l'herbe qui poussait par la suite, dénommée « parrat », était fauchée ou pacagée suivant le cas. Cet usage n'est pas à dédaigner ; les cendres mélangées à la couche superficielle du sol en accroissent la fertilité, mais il faudrait chauler et mettre de l'engrais, retourner le sol et gazonner avec des espèces robustes et envahissantes, comme les agrostis, les canches, les houlques et les paturins. Le parcage avec des moutons serait un excellent adjuvant et on pourrait ainsi recouvrer de vastes terroirs que la lande a gagnés dans le Cézallier, les Dores et l'Aubrac.

Il conviendrait enfin de mettre dans les pacages un nombre d'ani­maux convenable; certains sont trop chargés, d'autres le sont insuffi­samment et par suite trop peu fumés ; l'intérêt bien compris du cultivateur exigerait une exacte mesure sur ce point (60). Il n'est pas douteux, en résumé, qu'avec des soins plus attentifs, les éleveurs des Massifs pourraient accroître considérablement la valeur de leurs herbages et, par suite, leur cheptel déjà très important.

(59) [204 bis, p. 38-39]. (60) [La hausse du bétail tend à faire « surcharger » les pacages ; si les meilleurs et les plus bas peuvent nourrir 1 tête de gros bétail par ha, au-dessus de 1000 m, il faut 2 ha. Et 3 à partir de 1.300-1.400 m. Or, on arrive à faire héberger aux pâturages 50 % de bétail en surcroît.]

Ainsi le paysage lui-même reflète parfaitement les conditions natu­relles auxquelles l'homme s'est merveilleusement adapté ; il est frap­pant de constater combien la végétation est en rapport étroit avec le relief et le climat.

Trois grands étages se partagent naturellement le domaine des Massifs : de 600 à 800 mètres, c'est le domaine du chêne ; de 800 à 1.250 mètres, celui du hêtre ; de 1.450 jusqu'aux sommets, celui de la prairie subalpine et alpine. Mais l'homme y a introduit de la variété en créant des associations nouvelles de plantes. Jusqu'à 1000 mètres domine la prairie de fauche, entretenue par un travail et des soins séculaires. Jusqu'à 1.500 mètres, les pacages prennent le dessus, à peine interrompus, jusqu'à 1.200-1.250 mètres, par de gros domai­nes isolés ; présentant une valeur fourragère variable suivant les associations de plantes qui se sont adaptées aux conditions locales, ils sont dans l'ensemble de bonne qualité. Cependant on chercherait en vain des pâturages aussi riches et aussi fins que ceux des Alpes, de Savoie ou du Jura : la présence du Nard raide et de la Fétuque durette amoindrit notablement la valeur des herbages. Dans cette zone s'exerce encore puissamment l'action de l'homme et de ses troupeaux, mais elle est trop souvent mal dirigée : on l'a vu, l'abus ou l'insuffisance de pacage aboutissent à une dégradation nette du tapis herbeux. La zone subalpine correspond à l'ancienne zone supérieure de la forêt ; elle est peu touchée par la dent du bétail ou du moins pendant très peu de temps ; l'action de l'homme est peu sensible et elle cesse à peu près complètement dans la zone alpine de très petite étendue, remarquable surtout par la vivacité du coloris des fleurs et par la présence de ces plantes rarissimes qui font la joie des botanistes : l'anémone alpine et sa variété, l'anémone sulfureuse (Anemona alpina, var. sulphurea), le dryas octopétale (Dryas octopetale), la camarine noire (Empetrum nigrum ), le céraiste des Alpes (Cerastium alpinum), le silène cilié (Silene ciliata), l'androsace carnée (Androsacea carnea), et surtout ces saxifrages étonnants (Saxifraga androsacea, S. exarata, S. oppositifolia, S. hieracifolia, S. bryoides), ou cette petite fougère (Asplenium viride ) qui, croissant aux fissures du col du Pourtarou ne se retrouvent qu'au voisinage du Pôle, au Spitzberg et sur les rives canadiennes et eurasiatiques de l'Océan Glacial (61). [Coste [195]. Luquet [205].]

Il n'est pas sans intérêt de noter l'origine des espèces végétales qui peuplent les monts Dores, le Cantal et l'Aubrac. Certaines sont méri­dionales, amies du soleil et de la sécheresse ; elles sont thermophiles ; ainsi: Barkhausia setosa DC, Dianthus barbatus et D. graniticus, Genista purgans, Géranium nodosum, Rhamnus alpina, Tulipa australis, Trifolium striatum, etc. Elles sont venues du Midi, soit en remontant le Lot, soit après avoir franchi les Cévennes pour descen­dre le Lot ou remonter l'Allier et ses affluents. D'autres, nombreuses, sont originaires de l'Ouest et dites atlantiques, comme Helleborus fœtidus et H. viridis, Nastrutium asperum, Hypericum linanifolium, Ulex nanus et U. europœus, Genista anglica, Trifolium patens, Saxi­fraga hypnoïdes, Conopodium denudatum, Euphorbia hibernica, etc. Un autre groupe vient sans doute des Pyrénées : Eochleria pyrenaica, Antirrhinum asarina, Brunella hastaefolia, Crocus nudiflorus, Vicia orobus, Silene ciliata, etc.; un autre, d'origine steppique, s'étend jusqu'au Turkestan : Arabis turrita, Artemisia campestris, Lathyrus aphaca, Medicago orbicularis, Vicia lethyroidest etc. Quant à la flore des sommets dont quelques espèces ont été nommées plus haut, elles sont le reliquat des périodes glaciaires, et d'origine alpino-boréale. Un dernier groupe enfin est originaire du Massif Central et ne s'en éloigne guère ; ce sont des plantes endémiques telles que: Anemona rubra, Arabis cennebensis, Dianthus graniticus, Sempervivum arvernensis, Pulmonaria alpestris, Teucrium Ronyanum, etc. (62). Coste, in [35]. Luquet [211]

Il semble donc que les plantes qui poussent sur les pentes des Massifs, traduisent d'une façon vivante, dans la lutte qu'elles soutiennent les unes contre les autres, la rivalité qui existe du point de vue climatique, entre les influences océaniques, les influences méridionales et les influences continentales.

Sans doute, il est regrettable que là lande tienne une aussi grande place sur des sols fertiles qui devraient produire mieux que de la bruyère ou des Airelles : le reboisement s'impose. Au reste l'arbre est trop rare dans les Massifs : aussi l'exploitation des forêts ne donne-t-elle pas lieu à une industrie et à des profits considérables ; les scieries sont relativement peu nombreuses et il est significatif que certaines régions, cornme le Nord du Cantal (Riom, Cheylade, Ségur), fassent venir leur bois de chauffage de la Corrèze. En particulier, l'arbre manque aux flancs de la plupart des grandes vallées auxquelles il conférerait la puissante beauté que lui doivent celles du Mont Dore et du Lioran. L'homme a trop déboisé : de vastes territoires, en Planèze, dans le Cézallier, manquent de bois ; le paysan du bassin d'Aurillac lui-même est obligé de se contenter des branches de chêne qu'il élague dans les haies. Jadis, le Planézard se chauffait avec de la paille et avec de la bouse desséchée ; quelques villages se pourvoient dès maintenant dans des plantations récemment faites ; la plupart du temps, on va couper son bois au Lioran, dans la vallée de l'Alagnon et dans les gorges de la Truyère. Alors les lourds attelages de bœufs, partis de la ferme à .une heure 'du matin, ne reviennent avec leur charge que tard dans la nuit. Heureusement les villages du Limon ou du Cézallier ont à leur disposition une tourbe abondante et de bonne qualité dont l'exploitation est faite avec méthode.

Les diverses parties de la tourbière sont exploitées les unes après les autres. Quand toutes l'ont été, on revient à celles où l'extraction a commencé et où la tourbe a eu le temps de se régénérer. Chaque année, pendant l'été, le paysan, muni d'une bêche spéciale, va dans la montagne pour y « faire » la tourbe. Il découpe régulière­ment les couches en mottes ayant la grosseur d'une brique et les met sécher au soleil et au grand air. La meilleure tourbe est en profondeur, mais l'eau qui emplit la tourbière empêche de descendre au-dessous de 233 mètres suivant les lieux.

Lorsque les grands travaux de l'été sont finis, par une journée ensoleillée, on va chercher les mottes de tourbe avec des chars munis de ridelles spéciales. On les emmagasine généralement dans la grange ou au grenier. La tourbe brûle et chauffe bien ; elle a le gros avantage de « tenir » le feu 'en se consumant lentement et en donnant de la braise. Par contre, elle a l'inconvénient de dégager une fumée à l'odeur tenace et désagréable. Fréquemment, la toponymie est tirée du paysage végétal : la lande à callune donne les noms de : Brousse, la Brousse, la Bruyère, les Bruyères, etc.; la lande à genêts à ceux de : la Geneste, la Gineste, le Genestoux ; la lande à fougères ceux de Falgère, Falguières. Les mau­vais pacages ou buges ont le parrainage de la Buge, les Buges, Bouigues, Bouiges, Boigues. Les noms de Lachaume, Calm, Calmette, Cam évoquent des plateaux nus et secs. Quant aux arbres, ils ont four­ni de nombreuses appellations; pour le chêne on a : le Garric, la Gar­rigue, la Jarige, le Cassan, la Chassagne, etc ; pour le hêtre, le Fau, le Fayet, la Fage, la Fagette, Fayt ; pour le frêne, Fraysse, le Fraysse, Fraycinet, Fraissinoux, la Fraissinède, Fraissy ; pour le tilleul, le Teil ; pour l'orme, l'Olm, l'Olmet ; pour le noisetier, la Vaisse, la Veissière, Veissières ; pour le bouleau, le Bès, la Bessède, la Bessade ; pour l'aulne, Vergne, Lavergne, Verniols, etc...

Les lieux humides ou sagnes fournissent : Saignes, la Sagne, la Sagnette ; les terres à blé : Fromental, le Fromental. Fait curieux, dans un pays où le déboisement a sévi on ne trouve guère de lieux dits : Essards, les Essarts, etc., sauf dans le bassin d'Aurillac. De même beaucoup de patronymes ont été tirés de la végétation : Bruyère, Bruyères, Geneste, Genestoux, Garric, Jarrige, Lajarrige, Cassan, Cassagne, Lacassagne, Chassagnard; Fau (très nombreux dans le Sud du Cantal), le Fayet, Lafage, etc. ; Fraysse, Frayssinet ; Theils, Duteil, Delteil, Autheil ; Delorme, Delolm ; Vaissière et Laveissière, Vergne et Lavergne, Lassagne ; Sérieys, Sirieix, Dusserier, Cellarier, etc. (pour le cerisier ), tels sont les noms de beaucoup d'habitants des Massifs des Dores, du Cantal et de l’Aubrac (63) [Certains sont curieux ; Ex. : Fenautrigues (fena outtigue}, celui qui fane les orties.]

L'étude qui précède a montré qu'un contraste très net existait entre le versant ouest des Massifs à la pelouse vigoureuse et serrée, et leurs pentes orientales aux tendances plus xérophiles. Ainsi apparaît le lien étroit qui unit la végétation à l'altitude, à l'exposition, au climat. Mais on ne saurait oublier qu'elle est également tributaire du sol d'où elle tire sa substance nourricière.

L’EVOLUTION NUMERIQUE DU CHEPTEL BOVIN (p.204).

Quelques chiffres permettront de préciser quel a été l'accroissement du cheptel bovin, au moins pour une période récente : car il est d'autant plus malaisé de se rendre un compte exact de l'évolution en nombre du troupeau qu'on remonte plus loin dans le temps ; les statistiques qui permettraient d'établir des comparaisons instruc­tives entre des époques différentes font défaut ou n'existent que depuis peu de temps. Certes, antérieurement au XIXe siècle, la prépondé­rance accrue des herbages fait présager dans l'ensemble une augmentation numérique parallèle du gros bétail ; mais on ne saurait la chiffrer. Par contre, si on en juge par les dires des vieillards, il semble que la population bovine des Massifs soit demeurée à peu près stationnaire pendant la plus grande partie du siècle dernier. L'amélioration des prés et des pâturages, la pratique des amende­ments calcaires, l'utilisation des engrais chimiques, l'écoulement plus aisé des produits laitiers et des produits d'élevage, tels sont les prin­cipaux facteurs qui ont déterminé une nette reprise du mouvement d'accroissement des bovins depuis 1890 dans le Bassin d'Aurillac, depuis 1905 dans le Cantal, le Cézallier et les Dores, depuis 1920 dans l'Aubrac. D'une manière générale, la fin de la Guerre de 1914 marque une étape nouvelle dans la progression : la demande des villes en lait, beurre, fromage et viande s'amplifia considérablement, et les cours connurent une ascension verticale qui cessa, il est vrai, vers 1932. Mais alors l'élan était donné, et même la Guerre de 1939 ne l'avait pas interrompu, au moins jusqu'en 1944, date à laquelle les réqui­sitions massives et trois années de sécheresse consécutive mirent à mal le cheptel des Massifs.

A s'en tenir aux exemples précis que fournissent les vieilles gens, entre 1900 et 1940, l'accroissement du troupeau a été, suivant les lieux, dans la zone pastorale, de 30 à 150 %. De grandes fermes qui élevaient 30 vaches, en ont maintenant 60 et 65, dans la région d'Aurillac en particulier ; de même, le petit propriétaire qui possédait 4 vaches en tient désormais 5. Le mouvement a été moins sensible dans la zone agricole de la Planèze. Certaines régions ont fait depuis 1930 des progrès étonnants, dans les Dores et le Cézallier surtout. C'est Aurières, dont le cheptel passe, en 18 ans, de 556 à 1.448 ; Vernines, de 537 à 1.128 ; Pérpezat, de 1.054 à 4.110 ; le Vernet, de 537 à 1.138 ; Besse, de 1.941 à 2.430 ; Egliseneuve, de 3.350 à 3.825 ; Latour, de 1.943 à 5.140; Chastreix, de 2.326 à 5.935 ; Picherande, de 1.380 à 2.138 ; Saint-Donat, de 930 à 4.052 ; Tauves, de 2.103 à 4.980 ; Saint-Sauves, de 1.975 à 7.595 ! On voit, par ces chiffres, que l'élevage a crû, non seulement dans la région de l'Ouest, mais aussi sur les planèzes du N.E montdorien où la culture l'emportait jadis. Quelques com­munes sont, dans le même temps, demeurées stationnaires ; ainsi Mazoires, avec 930 têtes de gros bétail en 1920 et 965 en 1938; Espinchal, 265 et 308. Par contre, d'autres ont sensiblement régressé: le cheptel de Laqueuille tombe de 1.410 têtes à 954 ; celui de Saint-Bonnet-d'Orcival, de 1.305 à 942 ; celui de Saulzet, de 1.824 à 1.050 ; celui de Compains, de 2.145 à 1526, celui de Sainte-Anastaise, de 770 à 406.

Pourquoi d'aussi sensibles différences dans l'évolution du trou­peau ? Les conditions de l'élevage sont pourtant à peu près identiques à Orcival qui gagne 114 animaux, et à Saint-Bonnet-d'Orcival qui en perd 363. Pourquoi Le Vernet-Sainte-Marguerite progresse-t-il alors que Saulzet diminue? On peut penser que si le cheptel de Murât-le-Quaire diminue, c'est que la population délaisse l'élevage pour aller travailler dans les stations thermales voisines, de La Bourboule et du Mont-Dore. C'est là, un fait exceptionnel. Mais ailleurs ? La baisse de la population n'intervient pas : elle est générale comme on le verra plus loin. Le froid ? Le mauvais temps ? Ils ne paraissent pas jouer un rôle important... Faut-il alors se défier des statistiques ? On n'ose conclure et donner une explication satisfaisante.

Il n'en demeure pas moins que le cheptel des Monts Dores et de la partie du Cézallier qui appartient au département du Puy-de-Dôme, est passé de 42.440 têtes à 70.050 en 18 ans. C'est une augmentation de 27.110 têtes, soit 65,25 %. Ces chiffres sont éloquents et mon­trent nettement l'impulsion vigoureuse dont bénéficie l'élevage des Massifs.

La densité des bovins (v. carte p. 205) est plus forte à l'Ouest des Massifs qu'à l'Est ; dans la partie orientale de la Planèze, en parti­culier, elle n'excède pas 50 au km2 ; elle s'élève dans la Planèze moyenne où là prédominance des cultures est moins marquée. Elle s'abaisse dans la plupart des communes élevées : c'est qu'ici sont les vastes pacages qui nourrissent les transhumants en été, mais qui sont déserts durant la mauvaise saison. La densité est remarquable dans certaines communes : elle dépasse 100 au km2 à Perpézat (113,6) ; à Saint-Donat (121,79) ; à Latour (106,5), dans les Dores ; à Apchon (1.1,5) ; Jou-sous-Monjou (101) ; à Murat (103); à Saint-Jacques-des-Blats (110,8) ; à Saint-Simon (103,1 ) ; à Yolet (110,5) ; à Jussac (116,1), dans le Cantal. Elle atteint des chiffres records dans les Dores, à Chastreix (131,55) ; à Aurières (133,58) et surtout à Tauves (146,8) et à Saint-Sauves (153,22).

Enfin, la confrontation des deux cartes (densité des bovins p. 205, et rapport des terres et herbages p. 160), donne d'intéressants rensei­gnements. Les communes de la Planèze moyenne (Valuéjols, Paulhac, Cézens), du Bassin d'Aurillac (Crandelles, Jussac, Saint-Simon, Yolet, Velzic), où les terres labourées occupent encore une vaste étendue, ont néanmoins un cheptel bovin très nombreux. C'est que l'élevage et la culture y sont intensifs; l'économie agricole y atteint un haut degré de perfection. Tel est aussi le cas de la petite commune d'Aurières dans le Puy-de-Dôme.

Ici deux cartes

L'excellence de l'élevage des bovins dans les Massifs étant confirmée par les statistiques, il reste à faire un rapprochement avec d'autres régions montagneuses où il est également florissant, les Alpes, par exemple. M. Arbos a montré, ainsi que MM. Borrel et Méjean (3), que le cheptel alpin avait diminué depuis 1875. Certes, il ne faut point omettre d'ajouter qu'une vache tarine a gagné depuis cette date un poids moyen égal à 32,5 % de son poids primitif et une vache d'Abondance à 20 %; de même M. Arbos signale qu'une vache donnait en moyenne 960 litres de lait par an en 1875 et 1.700, au minimum, en 1914. Or, les animaux. des Massifs soutiennent avantageusement la comparaison au point de vue augmentation, on l'a dit, tant comme poids vif que comme rendement en lait, les Salers et les Ferrandaises en particulier. On a vu également que la progres­sion de leur nombre avait été constante depuis le début du XXe siècle.

(3) Ph. Arbos : La vie pastorale dans les Alpes françaises, Colin, Paris, 1922, p. 231 et ssq. A. Borrel : Le dépeuplement de la Savoie : Recueil de travaux de l'Institut de Géographie Alpine, p. 565. P. Méjean : Le Bassin de Bonneville, R.G.A., 1928, fasc. I, p. 89 et ssq.

D'autre part, alors que dans les Alpes de Savoie on comptait, vers 1920, 31 bovins par 100 habitants et 99 à Bourg-Saint-Maurice, 88 au Chatelard (Bauges), dans les Massifs le rapport est sensible­ment plus élevé ; il dépasse en moyenne 180 pour 100 habitants et s'élève parfois au-dessus de 400 (La Godivelle 404, Latour 418, dans les Dores ; la Mayrand 430, Le Chambon 513 ; Saint-Bonnet-de-Condat 410. Saint-Bonnet-de-Salers 420, dans le Cantal ; Condom 595 dans l'Aubrac). Chastreix dans le Massif montdorien détient le record avec 895 bovins par 100 habitants ! C'est assez dire que parmi les grandes régions montagneuses où l'élevage est en honneur, les Massifs tiennent une place de choix.

Il ne faudrait toutefois pas déduire de là que les paysans y ont réalisé la perfection. Néanmoins, il convient de noter que l'augmen­tation numérique du cheptel n'a pas entravé une sélection et une amélioration qualitative de plus en plus poussées.

LA VIE DANS UNE GRANDE FERME (p.471).

C'est une lourde charge que la direction d'une grande ferme. Cent cinquante à deux cents animaux à l'étable, cent cinquante hectares de terrains à exploiter, des bâtiments multiples à entretenir, un per­sonnel nombreux à diriger : il faut avoir l'oeil partout, donner des conseils ou des ordres au moment voulu. Aussi bien, le fermier est-il un personnage ; à défaut d'instruction il doit avoir du bon sens, de l'expérience, et le flair d'un bon commerçant qui sait vendre et acheter au bon moment. D'ailleurs, il est assez rare qu'il travaille lui-même ; souvent, il se borne à surveiller le travail de ses domesti­ques ; il ne prend la fourche et le râteau qu'en cas de grande presse. En été, il est obligé d'aller à la montagne tous les huit jours afin de se rendre compte par lui-même de la façon dont le vacher gère ses intérêts (6). [(6 ) Le paysan du Causse ou du Ségala du Rouergue ne va pas aussi fréquemment à la montagne.]

En toutes saisons, il affectionne de se rendre au marché ou à la foire dans les bourgs du voisinage ; occasion pour cet aristo­crate de la terre de se renseigner sur le cours du bétail et du fromage, occasion de trouver les connaissances, de bavarder, de s'enquérir de tous les petits potins du monde paysan, de faire avec les amis un solide repas bien arrosé de bon vin après avoir bu plusieurs apéritifs dans le meilleur café de l'endroit ; nécessité aussi de vendre l’estivade ou une partie du cheptel, de voir les fournisseurs, le notaire ou le banquier, de s'occuper de ses intérêts professionnels au syndicat ou au comice agricole dont il est adhérent...

Sa femme, la fermière, a la charge de l'intérieur de la ferme. Se­condée par une ou deux servantes, elle gère le ménage, veille à la propreté de la maison, prépare le repas, entretient le linge et les vêtements de la maisonnée, s'occupe de là basse-cour. Avec une telle be­sogne, elle n'a guère le temps d'aller travailler au dehors. Les jours de marché ou de foire, elle va au bourg, vend beurre, œufs et volail­les, achète les provisions indispensables à la ferme.

Le personnel, dans un domaine important, est considérable. En temps normal, il comprend un ou deux vachers, deux boutilliers et deux bergers, le maître-bouvier, deux ou trois bouviers (7) et les servantes. [(7) Avant l'emploi des machines, il n'était pas rare qu'il y eût 7 on 8 bouviers dans une telle ferme.] En été, il faut de la main-d'œuvre supplémentaire : six ou sept hommes pour faucher ou moissonner, deux ou trois femmes pour faner. Il n'est point rare qu'il y ait 18 à 20 personnes à table, sans compter la famille du fermier.

La journée de travail commence toujours de bonne heure. A par­tir de la Saint-Jean, toute la maisonnée est debout dès 3 heures et demie ou 4 heures du matin (8). [(8 ) Les heures indiquées sont les heures solaires ; le paysan ne tient guère compte de l'heure légale ; il se base sur le soleil au cours de la journée.] On se lève avec le soleil. Il fait frais dehors, on peut travailler avec plus d'ardeur que pendant la grande chaleur de l'après-midi. Au reste, le dicton dit fort bien que :

« Coï lou demati que se faï la journada. » C'est le matin que l'on fait la journée.

Un ou deux bouviers se rendent auprès des vaches demeurées à la ferme — le troupeau est à la montagne — pour procéder à la traite. Durant ce temps, tous les autres hommes vont au pré : avec la rosée le fourrage se coupe aisément ; jusqu'à 9 heures, alignés dans la vaste prairie, les faucheurs couchent à terre les hautes herbes, d'un mouve­ment rythmé qu'ils n'interrompent que pour battre ou aiguiser la faux. Pendant ce temps, la faucheuse tirée par deux chevaux va et vient inlassablement dans la partie la moins accidentée du pré. A 6 heures, tout le monde a quitté le travail pendant un quart d'heure pour déjeuner. A 9 heures, nouvel arrêt : la servante apporte le pa­nier couvert d'une serviette blanche dans lequel se trouve le second repas de la journée.

Après s'être restaurés, hommes et femmes prennent le râteau : il faut défaire les andins fraîchement faits, « déramer », comme l'on dit, travail assez long, car depuis le lever du jour, une vaste surface de la prairie a été rasée, et souvent, la faucheuse continue son travail jusqu'à 10 heures et demie ou 11 heures. A cette heure, le soleil a bu la rosée ; on s'occupe alors du foin coupé la veille et qui est en meules, en « fenières ». On l'étend au grand soleil, puis on le retourne avec le râteau et la faneuse mécanique. Midi arrive. Si la maison est voisine, on s'y rend pour le dîner. Si­non, on mange sur place, à l'ombre d'une haie ou d'un arbre bien feuillu.

A midi et demi, les estomacs sont repus ; alors commence la sieste bienfaisante qui repose des dures fatigues de la matinée. Pendant une heure, chacun dort à poings fermés dans un coin ombragé. A 1 h. 30, le travail reprend. On amasse le foin sec en longs cordons, les «torias » (9), le long desquels circulent les chars qui partent, lourdement chargés vers la grange. [(9) Travail fait au râteau et aussi à la râteleuse.]

Un ou deux hommes, quelquefois des fem­mes (10) arrangent sur le char le fourrage, qu'à larges fourchées, leur envoient deux robustes gaillards ; alentour, les autres faneurs rassem­blent le foin ou râtellent. [(10) Autrefois, seules les femmes chargeaient les chars.] Trois chars au moins sont en service ; l'un est à la grange où on le décharge, l'autre s'y rend, le troisième s'em­plit. Un homme fait le va-et-vient avec les attelages de bœufs entre le pré et la grange ; un autre — quelquefois il a un aide — est dans celle-ci, occupé uniquement à décharger les chars et ce n'est pas

là le travail le moins pénible.

La soirée est coupée par un nouveau repas pris à quatre heures dans le pré : la « vespreïra ». A la nuit tombante, si le soleil a forte­ment chauffé, on a engrangé de la sorte jusqu'à 30 chars de foin pe­sant 500 kgs chacun ou une brasse. Si le ciel est menaçant, il faut, avant de regagner la maison, entasser le foin sec en « fenières » pour qu'il ne se mouille pas ou ne « boive » pas trop de rosée.

Vers 9 heures, fourbu, mais satisfait du grand nombre de chars qu'on a chargés, chacun rejoint la ferme où l'attend le dernier repas, le souper, lestement expédié, car on a hâte d'aller se coucher. Il est alors 10 heures du soir ; on va prendre un repos bien gagné, après une journée de labeur qui a duré 18 heures, coupée il est vrai, de une heure de repos.

Alors qu'en été la journée est réglée en quelque sorte par le soleil, en hiver, on se lève avant lui et on se couche après lui. Dès 5 heures au moins, le fermier appelle son monde, dès 4 heures même, dans certaines bories. Vacher, boutillier, bouviers, partent aussitôt à l'étable; quelquefois avec la lanterne quand il fait trop noir. Grange et étable sont désormais bien éclairées par l'électricité. Aussitôt commence la traite ; elle demande moins de temps qu'en été car les vaches ont peu de lait et beaucoup sont « taries ».

A la grange, les bouviers s'affairent, coupent dans l'énorme motte avec un coupe-foin le fourrage nécessaire au bétail : ce n'est pas une mince affaire que de confectionner deux bottes pour chaque animal. La traite terminée on met dans chaque crèche une botte de foin, puis, celle-ci mangée, une botte de regain ou de foin mêlé de paille d'avoi­ne ou de lentille (11). Au milieu du repas, on détache les animaux par petits groupes et on les mène à l'abreuvoir. Pendant qu'ils man­gent, les hommes, armés de balais en bouleau ou en genêt, nettoient l'étable ; le fumier étant transporté au dehors avec un tombereau. [(11) Dans beaucoup de grandes fermes, du bassin d'Aurillac principalement, on ajoute, pour les vaches, le baquet, bouillie de farine de tourteaux, mêlée de betteraves ou de carot­tes hachées.]

Vers 8 heures, 8 h; 30, le travail à l'étable est terminé ; le lait, porté à la ferme, est emprésuré si la quantité est suffisante pour faire une fourme ou si on fabrique du bleu ou du Saint-Nectaire. Sinon, il sera livré à la laiterie.

II fait grand jour maintenant ; on déjeune, on fait un brin de toilette ; cela demande à peine une demi-heure. Tandis que les fem­mes mettent de l’ordre dans la maison, préparent le dîner, donnent la pâtée aux porcs, les hommes vont travailler dans les prés si le temps le permet ; en cas de mauvais temps, ils cassent du bois, ou « bricolent », c'est-à-dire se livrent à de menus travaux de répara­tion. Seul, le vacher, dans la laiterie, confectionne le fromage.

A midi, le repas prend une demi-heure, après quoi on retourne au travail commencé avant le dîner. A 3 heures, il est temps de se ren­dre auprès du bétail ; même besogne que le matin, mais on commen­ce par donner aux animaux leurs deux rations de fourrage et par les faire boire avant de les traire. L'étable est nettoyée à nouveau, la litière — quand on en a — répandue à terre. A 6 heures, la journée est finie. Il fait nuit depuis 1 heure et demie. On regagne la maison où la soupe fume sur la table ; vingt minutes après, comme à chaque repas, le bouvier-grand ferme son couteau ; c'est le signal attendu pour se lever; tant pis pour les retardataires, ils mangeront debout leur pain et leur fromage...

Cependant, il est trop tôt pour se coucher. On veille. La maison­née entière (patrons et domestiques, quelques voisins parfois) s'as­semble devant l'âtre où flambe un grand feu. Suspendue à la cré­maillère, un immense chaudron empli de pommes de terre commence à cuire : ce sera demain, avec quelques poignées de son, la pâtée des porcs. Les portes bien closes, alors que dehors il gèle et que récit tourbillonne en mugissant, il fait bon dans la grande cuisine, bien éclairée par l'électricité. Comme autrefois — la tradition cependant se perd — c'est l'heure des contes terribles et fantastiques où les vieil­lards racontent les exploits du drac et de la chasse-volante ; mais l'ambiance manque ; on se prend jà déplorer la trop grande clarté qui règne dans la pièce, et à regretter les veillées du temps jadis où les petites chandelles de résine qu'on fixait sur une fourche de bois plan­tée dans la muraille grésillaient en dégageant une épaisse fumée noi­re, tandis que les femmes filaient la quenouille et que les hommes broyaient le chanvre. Le lun ou chaleil lui-même, cette petite lampe à huile dont il fallait fréquemment moucher les mèches et qui avait remplacé la résine, le lun laissait la cuisine dans une épaisse pénom­bre bien propre à l'évocation des fantômes, des sorciers et des loups-garous ! Mais la lampe à pétrole, l'électricité surtout, ont peu à peu tué les vieilles légendes locales qui demandent des ténèbres pour im­pressionner.

La veillée est donc devenue le moment où on lit le journal, où l'on joue aux cartes, où l'on bavarde, où l'on écoute la T. S. F. ; les femmes raccommodent le linge ou tricotent. Avant d'aller au lit, on mange, fumantes, une ou deux pommes de terre choisies dans le grand chaudron. On ne danse guère comme autrefois. Cependant, si on a des voisins pour la veillée, on les régale, vers 10 heures du soir, de châtaignes grillées, de gaufres arrosées d'un verre de vin. A 10 heures, 10 h. 30, suivant les jours, toute la maison s'endort; les domestiques ont regagné l'étable tiède où ils ont retrouvé le lit-wa­gon aménagé dans un recoin.