geo.cybercantal.net sommaire Histoire des pays de Saint-Flour et de Murat Extrait A : Vivre aux pays de Saint-Flour et de Murat pendant le Moyen Age
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Vivre aux pays de Saint-Flour et de Murat pendant le Moyen Age

La création du bailliage royal des Montagnes (vers 1257), puis celle de l’évêché de Saint-Flour (en 1317) ont donné à la majeure partie de la Haute-Auvergne un semblant d’unité administrative, politique et religieuse. Au temps anarchique des seigneurs va succéder une période de paix, d’ordre et de prospérité, qui se prolongera pendant tout le XIIIe siècle et la première moitié du XIVe, avant que d’autres calamités ne viennent plonger la région dans le désarroi et la misère.

Originalité des pays de Saint-Flour et de Murat

Environ deux cents pieds au-dessous des murailles de la cité de Saint-Flour zigzague “ le grand chemin de France en Languedoc”, qui épouse alors les courbes de l’Ander. Du bourgeois sanflorain qui l’emprunte pour se rendre à Paris, on dit qu’il va “ en France ” ; et du voyageur du nord de la Loire qui fait étape à Saint-Flour, on chuchote avec des airs entendus qu’il est “ de France ”. Mais, à la même époque, l’Aurillacois qui franchit les monts du Cantal pour traiter quelque affaire l’appelant en Planèze a l’impression d’avoir quitté le pays d’oc et de se retrouver en terre “ de France ”. Ce paradoxe s’explique par la situation particulière de la région de Saint-Flour qui lui confère une originalité propre. Certes toute la Haute-Auvergne est pays de transition, “ zone frontière pour le droit comme pour la langue ”, donc “ livrée aux influences contradictoires du Nord et du Midi ”, selon Léonce Bouyssou, mais l’arrondissement actuel de Saint-Flour, bien plus encore que ceux de l’ouest cantalien. Alors que la région d’Aurillac a Toulouse pour pôle d’attraction, que celle de Mauriac se tourne plus volontiers vers le Limousin, la Haute-Auvergne orientale se partage entre Clermont et Toulouse, se sent attirée à la fois par la Limagne, le Velay et le Rouergue. L’architecture religieuse, la langue, le droit en porteront témoignage, et aussi la politique du roi et des Bourbons, incarnations de l’esprit français, et celle des Armagnacs, comtes de Rodez et vicomtes de Carlat, languedociens dans l’âme, qui ne cesseront de rivaliser avec l’arrière-pensée de faire entrer dans leur giron ce haut lieu de l’Auvergne, et surtout la citadelle de Saint-Flour, enjeu d’une bataille sournoise, fidèle à son roi malgré les vicissitudes, et pourtant bien souvent tentée de se jeter dans les bras des gens du Midi. Au sud, Chaudesaigues, le Caldaguès et l’Aubrac et, à un degré moindre, le Pierrefortais demeureront dans l’orbite du Languedoc jusqu’à la réunion définitive de l’Auvergne à la couronne de France sous François Ier. Au nord, les secteurs de Condat, Allanche et Massiac, plus franchement tournés vers Clermont, conservent cependant de fortes attaches avec la civilisation gallo-romaine venue du sud. Les villes de Saint-Flour et de Murat, la Planèze et la Margeride cantalienne se situent au centre même de la zone de transition.

Le langage lui aussi s’y singularise. N’exagérons rien ! Cette langue romane qu’on emploie au palais du Dauphin d’Auvergne, dont les troubadours ourlent leurs vers, a la même origine dans toute la province : le latin populaire ( “fora ” = dehors ; “hort ” = jardin etc...) transmis de bouche à oreille et donc plus ou moins déformé, transformé, qui a emprunté au gaulois quelques mots ( braies, brayes = culottes ; saie, saille = longue cape) et aux idiomes germaniques certains néologismes..., c’est la langue d’oc, parler essentiellement oral, par conséquent modifié, altéré de génération en génération, de village à village, devenu le dialecte auvergnat qui survit, sans cesse remodelé, dans le patois, nous devrions dire “ les patois ” si oubliés de nos jours. L’un des plus vieux textes romans de la Haute-Auvergne, la charte de 1201 ou traité conclu entre Robert Dauphin Ier d’Auvergne et Aymon de Brossadol, est rédigé dans cette langue qu’on peut considérer comme le dialecte courant d’alors. Cultivé jusqu’au sud de la Loire, jouissant d’une si grande réputation que Dante songea un instant à le choisir de préférence au toscan pour en forger ses vers, il commence cependant à décliner en Basse-Auvergne devant les assauts répétés de l’idiome de France, la langue d’oil : “ Au XIVe siècle , écrivait Mazure, l’ère des troubadours semblait terminée ; la poésie provençale avait vécu ses jours d’éclat. L’esprit devenait français de proche en proche... Les officiers du roi et ceux du prince, l’usage de la chancellerie de France, tout contribuait à faire délaisser l’instrument harmonieux des troubadours pour cette langue du Nord, appelée à un si grand avenir, mais qui n’avait pas encore justifié sa victoire ...”. Dès le premier quart du XIVe siècle, les livres de comptes de Clermont sont rédigés en langue d’oil, signe évident de sa pénétration au moins parmi l’élite intellectuelle. Rien de tel dans le Pays des Montagnes, de tradition conservatrice, vivant dans une certaine autarcie, en raison des difficultés de communication. Le parler y reste à l’abri des ingérences étrangères ; les livres de comptes des consuls de Saint-Flour, couvrant la période de 1376 à 1467 sont toujours rédigés en langue vulgaire, les instructions secrètes remises à leurs députés aux Etats également. Mieux même, la barrière montagneuse qui sépare le pays de Saint-Flour-Haute-Auvergne de la région d’Aurillac lui permet de se démarquer de la langue d’oc, sans sortir de son giron, et de se personnaliser quelque peu, moins rude qu’en Basse-Auvergne, moins sonore qu’à l’ouest du Lioran et du Brezons : sur la rive droite de cette rivière vient buter le “C” dur, le ca, le co, le ga du patois d’Aurillac _ Ne dit-on pas encore “ lou co ” (le chien), “ lo cabro ” (la chèvre) sur les confins occidentaux du canton de Pierrefort. L’arrondissement de Saint-Flour est et demeurera la région du “cha”, du “ja” : “ tcho ”, tchabre ”, mais aussi “ chabros ” (chevrons), “ chadafalt ”, “ chadenas ”, “ chapela ”, “ charreyra ”, relevés dans les registres consulaires. Tout au plus note-t-on quelques variantes dans le choix du vocabulaire et certains aspects grammaticaux et phonétiques. La langue parlée est plus “ auvergnate” dans le nord-est cantalien (en Margeride septentrionale, à Massiac, à Allanche, à Condat) avec la chute générale des consonnes finales ; plus “ occitane ” dans le Caldaguès et le sud de la Margeride isolés par les gorges de la Truyère ; fortement méridionale avec des caractéristiques propres dans un périmètre circonscrit par une ligne approximative reliant Dienne, Neussargues, le col de La Fageole, Ruynes, la forêt de Margeride, la basse gorge de l’Ander, la Truyère, le Brezons et le Lioran. Et l’inclination marquée pour le “tz” et le “dz” (“ tso, tsabro ”) du pays muratais, et la prononciation normale du “l” (“ portal, hostal ”), par exemple dans la charte du gué de Murat de 1373, qui se change en un “r” guttural en Planèze (“ portäh , oustäh ”) ajoutent encore à son originalité. Rien d’étonnant si on songe qu’au Moyen Age on vit là en circuit fermé, sans relations suivies avec la Basse-Auvergne, sauf avec le Brivadois, coupé aussi du Midi par la vallée profonde de la Truyère, satisfait des terres labourées qui nourrissent, des “ montagnes à vacheries ” et des petites industries de la draperie, de la tannerie, qui offrent travail et modeste pécule.

Autre particularité de la Haute-Auvergne et particulièrement des pays de Saint-Flour et de Murat, la dualité sur le plan juridique du droit écrit et du droit coutumier, aux limites imprécises et enchevêtrées, divisant parfois paroisses et villages et, selon Léonce Bouyssou, “ créant des ilôts de droit écrit en pays coutumier et vice-versa”. Cette singularité dont la France n’offre guère d’exemple frappera Chabrol, le rédacteur en 1510 des “ coutumes d’Auvergne ” et, à la veille de la révolution, le voyageur Legrand d’Aussy qui constatera cette “ bizarrerie particulière ” à l’Auvergne, “ riche de coutumes locales autant que toutes les autres réunies ”.

Le droit coutumier, influencé malgré tout par le droit romain, avait été enfanté par l’anarchie féodale qui avait laissé sombrer dans l’oubli les anciennes lois. Des usages consacrés par le temps et la tradition orale, mieux adaptés aux particularismes de la nouvelle société, avaient pris leur place dans les fiefs laïques et les alleux et variaient avec les lieux, les circonstances, les besoins. Ainsi les terres du duché de Mercoeur ou dans sa vassalité, en Margeride, en Planèze, en Cézallier constituaient une partie importante de la Haute-Auvergne coutumière.

Par contre le droit romain ou droit écrit s’était conservé ou diffusé depuis la fin du XIIe siècle dans le temporel des églises, car le haut clergé plus instruit et nourri de culture latine appréciait sa supériorité. Il était appliqué notamment dans les domaines appartenant à l’évêque de Saint-Flour et dans les terres laïques ayant relevé autrefois d’un seigneur ecclésiastique. Les exceptions confirmaient la règle. Si le prieuré de Bredons par exemple se pliait au droit coutumier, c’était parce qu’il avait été doté de biens ayant appartenu à des laïcs adeptes de ce droit ; et la loi qui les régissait se perpétua malgré les changements de maîtres. Inversement, si le fief laïque de Brezons restait fidèle au droit écrit, c’était parce qu’il relevait en grande partie de l’évêque de Saint-Flour. D’autres dérogations à ce mécanisme peuvent aisément s’expliquer. Ainsi la vicomté de Murat se soumettait au droit écrit car, vassale de Carlat, elle était considérée comme un pays séparé de la Haute-Auvergne ; au contraire les terres des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem suivaient la coutume parce que leur ordre ne datait que du XIIe siècle.

Au bout du compte, les autorités religieuses se firent de si ardentes zélatrices du droit civil qu’il se propagea finalement dans toute une partie de la Haute-Auvergne régie par la coutume et se partagea avec elle différentes paroisses, ce qui ne simplifiait pas le système, bien au contraire : ce fut le cas pour celles de Roffiac, Alleuze, Saint-Georges, Vabres, Valuéjols, Lavastrie (cantons actuels de Saint-Flour), Jabrun, Lieutadès, Saint-Rémy, Maurines, Salcrus (canton de Chaudesaigues), Faverolles, Saint-Just, Saint-Marc (canton de Ruynes-en-Margeride), et plusieurs des futurs cantons d’Allanche et de Condat. A cette dualité si typique du Pays des Montagnes, il faudrait ajouter la diversité des justices seigneuriales et ecclésiastiques, chaque tribunal ayant ses réglements et sa jurisprudence.

A peine avait-il panser ses plaies, conséquences néfastes de la guerre de cent ans, que le pays dut faire face à une crise plus douloureuse encore par ses conséquences : les guerres religieuses dont il ne se remettra pas totalement.