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HARALD WELZER, 2009
« Les guerres du climat. Pourquoi on tue au XXI° siècle. NRF Essais, Gallimard, Paris, 365 pp. et Tribune de tête dans « Le Monde : Bilan Planète 2009 », p.8. Décembre 2009 ».



L’auteur s’appuie sur une situation clairement avérée : de plus en plus d’hommes disposent et disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie. Des conflits violents ont opposé et opposeront tous ceux qui prétendent se nourrir sur une seule et même portion de territoire ou boire à la même source en train de se tarir. Bientôt la distinction entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux qui fuiront leur environnement, entre les réfugiés politiques et les réfugiés climatiques, ne sera plus pertinente, tant se multiplieront des guerres nouvelles générées par la dégradation du milieu. Les guerres induites par le climat seront la forme directe ou indirecte de la résolution des conflits du XXI° siècle et la violence est promise à un grand avenir.
Les modifications du climat agissent dans deux direc­tions : elles peuvent provoquer des conflits violents, elles peuvent aussi aggraver des situations conflictuelles déjà existan­tes. En outre, par des interactions, des cumuls, des enchaînements indirects, elles peuvent causer des consé­quences inattendues. Il est temps d'intégrer les effets envi­ronnementaux dans la description et l'analyse des conflits sociaux. Les aspects des changements décrits ont dépassé depuis longtemps le stade des hypothèses, ils déterminent déjà la réalité des hommes : les guerres du climat sont une réalité ; en conséquence, des gens tuent, des gens meurent, des gens fuient. Dans ce cadre, la modification des ceintures agricoles ne peut être que le moindre des maux de ce changement. Empiriquement, il n'existe pas la moindre raison de croire que le monde va rester tel que nous le connaissons. Ainsi, peut-on résumer la thèse de Welzer. Plusieurs points méritent un plus large développement.


Les migrations humaines climatiques sont déjà constatées et les modifications des aires de distribution animales et végétales vont devenir de plus en plus évidentes. La Montagne (édition Cantal) du 7 décembre 2009 p.3.


Un exemple de conflit : le Darfour ou la première guerre climatique . Ce qui a d’abord été présenté aux spectateurs occidentaux comme un conflit tribal entre des « milices arabes à cheval » et des « paysans africains » se révèle être une guerre que mène un gou­vernement contre sa population, et dans laquelle le changement cli­matique joue un rôle décisif. Ethniquement parlant, le Darfour est un ensemble complexe de tribus « arabes » et « africaines », le premier terme désignant généralement des nomades et le second des paysans. Des conflits exis­tent entre eux depuis environ soixante-dix ans. Ils ont été accrus par l'érosion des sols et l'accroissement continu du cheptel. Des éléments de modernisation, comme le règlement de ces conflits par la justice, introduite pendant la période de paix voilà une trentaine d'années, ont entraîné le dépé­rissement des stratégies traditionnelles pour les régler ou les apaiser, sans pour autant établir des règlements efficaces. Au contraire, on observe depuis trois décen­nies qu'au moindre conflit local on recourt tout de suite aux armes. Lors de la sécheresse catastrophique de 1984, les pay­sans sédentaires tentèrent de protéger leurs maigres récol­tes et interdirent l'accès de leurs champs aux troupeaux des « Arabes », dont les pâturages avaient été détruits par la sécheresse. Ce qui revenait à interdire leurs chemins tradi­tionnels de transhumance en même temps que leurs pâtu­rages. Désespérés et furieux, les nomades commencèrent à s'attaquer aux paysans et à forcer le passage à travers les terres de ces derniers. Et, quitte à se battre, ils en profitaient pour lâcher leur bétail dans les maigres champs ravagés par la sécheresse. Ils ne supportaient même plus de voir les paysans brûler les mauvaises herbes ... on se battait pour quelques centaines de mètres carrés de pâturages desséchés.


Modifications climatiques. De nombreuses sociétés sont de plus en plus incapables de s’assurer des moyens d’existence durables.


On voit clairement que ce furent des change­ments climatiques qui déclenchèrent le conflit. Le man­que de pluie - et dans certaines régions du Darfour, les pluies ont diminué de plus d'un tiers en dix ans - fit que les régions du nord devinrent impropres à l'élevage et que les éleveurs jusque là en partie sédentai­res furent poussés vers le sud, devenant pour la pre­mière fois des nomades à part entière. En outre, la sécheresse suscita un nombre énorme de réfugiés inté­rieurs, pour lesquels on créa des camps. On vit jusqu'à 80 000 affamés traverser le pays pour atteindre ces camps. Dans le même temps, l'accroissement drastique de la population (2,6 % par an) provoquait une surexploitation des pâturages et des terres et donc une aggravation conti­nuelle du potentiel de conflits qui existait déjà.


Alors que les contentieux portant sur la terre et l'eau étaient tradi­tionnellement traités lors des séances de conciliation prési­dées par une tierce partie avec l'appui du gouvernement, c'est une autre politique qui prévalut après le putsch mili­taire de 1989. Ce furent alors des milices soutenues par le gouvernement qui inter­vinrent de plus en plus dans les conflits sapant ainsi les formes traditionnelles de conciliation, exacerbant les hos­tilités et aggravant les problèmes de violence.


Un titre parmi d’autres dans « Le Monde : Bilan Planète 2009 », décembre 2009.


Les inégalités devant les modifications climatiques. Mais qu’en est-il des conséquences sociales du réchauffement ? L'évolution du climat aura des effets extrêmement divers selon les régions. Les conséquen­ces sociales ne dépendent pas uniquement de ces effets, mais aussi des capacités disponibles selon les endroits pour les maîtriser. Quand, comme en Europe du Nord, le niveau de vie est élevé, l'alimentation bonne, la gestion des catastrophes excellente et les dommages matériels compensables, ces effets du climat seront relativement mini­mes ; quand en revanche une région, comme par exemple le Congo, souffre de toute façon de la pauvreté, de la faim, de l'absence d'infrastructures et qu'elle connaît des conflits violents, elle sera plus durement touchée par les changements négatifs dus à l'environnement. Il en résulte de multiples préjudices. Les pays qui seront probablement les plus touchés sont ceux qui ont les possi­bilités les plus restreintes de maîtriser les conséquences ; ceux qui seront le moins touchés, ou qui même profiteront du changement des conditions climatiques, disposent en même temps des plus fortes capacités pour venir à bout de problèmes liés au climat. Ajoutons à cela que les populations les plus durement frappées sont celles qui ont jusqu'ici émis le moins de gaz à effet de serre, alors que les plus grands pollueurs seront probablement ceux qui pâtiront le moins des conséquences. On discerne là un phénomène historiquement nouveau, d'injustice globale. Les asymétries et inégalités qui existent à l'échelon du globe en matière de chances de survie seront aggravées par l'évolution du climat.


La plus grande partie du Bangladesh est à moins de 12 mètres au-dessus du niveau de la mer et environ 10% du territoire est situé en-dessous du niveau de la mer. Environ la moitié de la superficie du pays serait inondée si le niveau de la mer augmentait d'un mètre.


La dérive de la ligne de référence (Shifting baseline). C'est ainsi que les psychologues de l'environnement nomment le phénomène fascinant qui traduit le fait que les hommes considèrent toujours comme « naturel » l'état de leur environnement qui coïncide avec la durée de leur vie et de leur expérience. Les changements de leur environnement social et physique ne sont pas perçus dans l'absolu, mais toujours seulement de façon relative à leur propre point d'observation. C'est pourquoi les générations présentes à un moment donné conçoivent tout au plus vaguement et abstraitement que le monde cultivé des générations précédentes était différent. De même était aussi différent l'environnement qu'ils croient naturel Ainsi les prairies inondables et les landes sont le produit de déboisements anciens et les problèmes d'érosion sont connus en Europe centrale depuis les essartages massifs du haut Moyen Age. Mais il n'est pas nécessaire de remonter aussi loin dans le temps pour constater des changements massifs dans la perception de l'environnement : une génération suffit. Ainsi, un groupe d'écologistes a récemment enquêté sur la façon dont des pêcheurs californiens percevaient, selon les générations, leurs lieux de pêche et leurs prises. L’auteur souligne qu’à ce jour c'est la seule étude portant sur la manière dont changent les perceptions de l'environnement. Les chercheurs ont demandé à trois générations de pêcheurs dans quels secteurs ils avaient vu se raréfier certaines espèces, quelles espèces ils avaient surtout capturées, quelle avait été leur plus grosse pêche et quel avait été le plus gros poisson qu'ils aient jamais hissé à bord. Le groupe des jeunes allait de 15 à 30 ans, le groupe moyen de 30 à 54, et le dernier au-delà. Certes, ils étaient d'accord à 84 % pour trouver qu'il y avait de moins en moins de poissons, mais sur les espèces qu'on ne trouvait plus à tel ou tel endroit, les réponses divergeaient totalement. Les plus vieux citèrent onze espèces qui avaient disparu, le groupe moyen en nomma sept, et les jeunes seulement deux. Ces jeunes ne se rendaient d'ailleurs pas compte que, là où ils péchaient journellement, il y avait encore voilà peu de temps quantité de requins, de mérous géants, et aussi d'huîtres perlières. Même chose à propos des lieux de pêche : alors que les vieux se souvenaient qu'autrefois l'on n'avait pas besoin de s'éloigner de la côte pour faire bonne pêche, les jeunes n'avaient même plus idée qu'on ait jamais pu pêcher là, et aucun d'entre eux ne pensait que ces zones côtières aient été victimes de la surpêche. Autrement dit, dans leur cadre référentiel, il n'y avait tout simplement pas de poisson près des côtes. À l'instant où l'Histoire a lieu, les gens vivent un présent. Les événements historiques ne montrent leur importance que rétrospectivement, lorsqu'ils ont entraîné des faits sans précédent exerçant une action en profondeur sur tout ce qui a suivi. Cela pose un problème de méthode, lorsqu'on se demande ce que les gens ont su ou perçu d'un tel événement encore dans les limbes. Car si ces événements sans précédent ne sont pas perçus, c'est précisément parce qu'ils sont nouveaux : donc on tente de saisir ce qui se passe avec les cadres référentiels dont on dispose. Pour l’auteur, l’absence de vision historique, de détection d’un événement significatif, s’applique dans le cas des modifications climatiques.


Enormité du changement climatique. Le changement climatique a des dimensions énormes, de plusieurs points de vue. C'est le premier événement réellement mondial causé par l'homme. Peu importe qui a influencé l'évolution du climat, peu importe le lieu et le moment, les conséquences de ce changement peuvent être ressenties et subies dans d’autres régions du monde et par d’autres générations. Ainsi, en matière de changement climatique, cause et effet sont dissociés : ceux qui sont à l'origine des conséquences et ceux qui ont à les affronter ne sont pas contem­porains. Les problèmes qui se posent lorsqu'on tente de canaliser encore quelque peu l'évolution tiennent, entre autres, à cette irresponsabilité structurelle. Le décalage dans la chronologie, dans la géographie et dans le groupe humain, entre causes et effets fait obstacle à l'attribution de responsabilités donc aux obligations qui s'imposeraient pour éviter la possible catastrophe. Étant donnée l'inertie du climat, son évolu­tion n'est pas de prime abord influençable ; ce qu'on pourrait faire, si l'on faisait quelque chose, n'aurait pas de résultat visible et tangible avant des décennies : tous les efforts aboutiraient tout au plus à un ralentissement de l'augmentation de la concentration en CO2, mais les glaces continueraient tout de même de fondre et les ours blancs de disparaître si les taux s'amélioraient.


L’Ours polaire : une des premières victimes, dans le monde animal, du changement climatique.


Vers une conclusion. Peut-on donc vraiment croire que les choses vont s'améliorer ? Avec des conséquences climatiques de plus en plus nombreuses et sensibles, avec l'augmentation des détresses, des migrations et des violences, la pression pour résoudre les problèmes va s'accentuer et l'espace mental se rétrécir. D’où l’augmentation de la probabilité de stratégies irrationnelles et contreproductives. Cela vaut en particulier pour la violence qui se trouve accrue par le changement climatique. A la lumière de l'histoire, il est hautement probable que des êtres humains [eux] qui recevront le statut de «superflus» et sembleront menacer les besoins de prospérité et de sécurité de gens établis [nous], mourront en grand nombre ; que ce soit par manque d'eau et pénurie de nourriture, que ce soit par une guerre frontalière, par des guerres civiles ou par des conflits entre états à la suite de changements environnementaux. C'est ce qu'on peut avoir appris en voyant la manière dont les problèmes ressentis au XX° siècle ont été résolus. Une conclusion pessimiste ? Les dernières lignes de l‘auteur, fortement imbibées de Lévi-Strauss ne trompent pas. Les chances de survie des différents groupes sociaux proviennent de leur capacité à se différencier, capacité assimilée à la culture. Mais, en face, une autre activité de la part d’autres hommes consiste à désagréger continuellement des structures complexes et à niveler les différences. Si bien que la civilisation, prise dans son ensemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où peuvent être définies deux directions d’évolution : d’une part la chance qu'a notre univers de survivre, d’autre part la fabrication de ce que les physiciens appellent l’entropie, c'est-à-dire l'inertie. Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée établissent une communication entre deux interlocuteurs, rendant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d'information, donc une organisation plus grande. On peut aussi décrire le processus de la mondialisation comme un processus accéléré d'entropie sociale qui dissout les cultures et ne laisse plus que l'indifférenciation de la simple volonté de survie. Est-ce que cette capacité unique dans l'évolution, que possèdent les êtres humains pour améliorer leurs conditions de vie par la tradition culturelle, connaîtra encore le succès à moyen terme ? La question reste posée. Pour l’auteur, un double cheminement de la civilisation apparaît : d’une part, le déroulement des civilisations dites « avancées », l’histoire de l'Occident libre, démocratique et éclairé, et d’autre part le déploiement de sa contre-histoire, faite de non-liberté et d'oppression. Sur cette faille, les conséquences du climat montrent que les sources de notre civilisation souffriront et connaîtront leur échec.

NDLR. 1). Il est peut-être surprenant pour un site à vocation régionale, d’aborder un thème d’amplitude planétaire. En fait petite vallée, petit pays d’une part, planète entière d’autre part, c’est le même combat qui se déroule devant nous, si nous n’en sommes pas déjà acteurs. A toutes les échelles géographiques, il faut s’attendre à des conflits d’usage par suite des changements climatiques. En fait le passé nous rattrape et le contenu de ce site nous indique une telle trajectoire : pour le problème de l’eau, le chapitre « Moulins » permet de constater les conflits d’usage dès le Moyen Age.

2) Les illustrations libres de droit, les citations ou emprunts autorisés ne proviennent pas du livre commenté ; elles sont le choix du rédacteur (M. B.).