geo.cybercantal.net sommaire Une exposition de manuscrits enluminés dans le Cantal Zink, Michel
version imprimable


Au temps où la main du scribe copiait le livre lettre après lettre, c’était la main aussi qui, en y peignant des ornements, en relevait la beauté, l'éclairait, l'illuminait, l’enluminait. Et puisqu'un livre est fait de lettres, ce sont les lettres que d'abord on ornait. Dans le manuscrit médiéval, la lettre initiale, capitale, celle qui vient en tête du chapitre ou de l’ouvrage, est le premier objet et le premier prétexte de l’enluminure. Elle est rehaussée de couleurs, stylisée, manipulée, transformée en créature ou objet dont le dessin peut de loin affecter la forme. Elle renferme dans ses volutes, ses boucles, ses jambages l’illustration du texte dont elle marque le début. De A jusqu'à Z, cet album réunit quelques-unes de ces lettres ornées, appartenant à tous les styles et à toutes les époques du Moyen Age. C’est par époques, par styles, par écoles qu’un livre sérieux les classerait. Il en confierait le commentaire à un historien de l’art, à un spécialiste des manuscrits, et ce commentaire serait un cours sur l’enluminure médiévale. Mais ce livre n’est pas sérieux. Ou peut-être l’est-il autrement. Au fil de l’alphabet et de ses images, il commente chaque lettre, certes dans le contexte médiéval, mais en se laissant aller au jeu de la mémoire, des citations, des libres associations. On peut voir de la fatuité dans ce dilettantisme assumé. Cf Extraits p 47.


H : Jeux jambages verticaux, un trait Horizontal qui les relie par le milieu. Les deux jambages sont constitués par deux person¬nages, un évêque et un roi. Ils se font face. L’évêque bénit le roi et semble par ce geste dési¬gner en même temps le phylactère qu’il porte dans la main droite tandis que la gauche tient le sceptre. Sur le phylactère, on lit : Quid sit ius naturale - «Qu’est-ce que le droit naturel?» C'est le titre du chapitre VII de la première partie du Décret de Gratien. La réponse est : « Le droit naturel est commun à toutes les nations, en ce qu’il est partout le produit de l'instinct de la nature, non de quelque institution. » Mais le H n’introduit pas cette définition. C’est la première lettre du préambule qui précède la succession des chapitres, la première lettre d’ humanum, «humain», car le droit s’impose à toute l’espèce humaine : Humanum genus duobus regitur, naturali uidelicet iure et moribus - « L’espèce humaine est régie par deux choses, à savoir le droit naturel et les moeurs.» Pourquoi le phylactère renvoie-t-il donc à un chapitre ultérieur ? Et pourquoi est-ce le roi qui le tient, non l’évêque ? Le roi établit les institutions, mais le droit naturel appartient à Dieu. Précisément : l'égalité des deux jambages du H n’est qu’apparente. L’enlumineur a voulu signifier que le roi fait hommage au pouvoir religieux du droit naturel, qu'il reçoit de Dieu par les mains de 1’Eglise et avec sa bénédiction, ce droit qu’il s’impose à lui avant toutes les lois qu'il peut instituer. Sous la barre du H, deux petits personnages représentent les sujets des deux pouvoirs, reli¬gieux et laïque. Aux pieds de l’évêque, un moine tient un livre : il figure l’ensemble de ceux dont la tâche est de prier. Aux pieds du roi, un homme vêtu d’une courte tunique et de braies lacées brandit une hache, qui peut être celle du combattant, bien qu’il ne porte pas d’arme défensive, ou celle du bûcheron. L’autorité du roi s’étend également sur ceux qui combattent et sur ceux qui travaillent.